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Le « Don Juan » d’Apollinaire censuré en Turquie

mercredi 3 novembre 2010, par Guillaume Perrier

Mardi matin, l’éditeur stambouliote Irfan Sanci comparaîtra devant un juge d’Istanbul pour « publication obscène et immorale ». La justice lui reproche d’avoir traduit et édité Les Exploits d’un jeune don Juan, un roman érotique de Guillaume Apollinaire paru il y a un siècle. L’après-midi du même jour, Irfan Sanci recevra un prix spécial de l’Association internationale des éditeurs (IPA), basée à Genève, au cours d’une cérémonie organisée pendant la Foire du livre d’Istanbul. « Mon pays me punit pour mon travail et en même temps je reçois le soutien d’une organisation internationale. C’est tragique, mais c’est la Turquie », soupire-t-il.

L’événement est tristement banal dans ce pays où les directeurs de maison d’édition, les écrivains ou les journalistes sont régulièrement traînés devant les tribunaux pour s’être écartés du discours officiel. Environ 70 éditeurs sont actuellement en procès, selon l’agence indépendante Bianet.

Ce n’est pas la première fois qu’une œuvre d’Apollinaire est sur le banc des accusés en Turquie. En 1999, l’éditeur turc des Onze mille verges avait été poursuivi par la justice. Les stocks de l’ouvrage incriminé avaient été détruits. Après une longue bataille judiciaire, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la Turquie, en février, pour ce cas de censure manifeste.

« Lignes rouges »

Le fondateur des éditions Sel a, lui aussi, l’habitude de ces procédures kafkaïennes. Emprisonné durant un an après le coup d’Etat militaire de 1971, puis dix-huit mois après celui de 1980, il risque, cette fois, une amende et une peine de prison. « Pour l’Etat, il y a des lignes rouges à ne pas franchir : les questions kurde et arménienne, la sexualité... C’est un réflexe de la bureaucratie kémaliste », estime M. Sanci, qui souligne l’ignorance des juges. Deux professeurs de littérature ont dû rédiger un rapport pour confirmer qu’Apollinaire appartenait bien au patrimoine littéraire.

Les premiers ouvrages publiés dans sa collection de littérature érotique ont tous été l’objet de poursuites pour les mêmes motifs mais, à chaque fois, la justice lui a donné raison. « Nous avons publié Le Pendule magique, écrit sous le pseudonyme de Ben Mila, et Correspondance d’une bourgeoise avertie. Le prochain sera Le Con d’Irène, d’Aragon », précise M. Sanci. Amoureux de la littérature française contemporaine, il a publié les traductions de Queneau, Barthes, Genet, Cocteau, Michaux ou Duras.

C’est également lui qui a sorti, en 2001, le roman de l’auteur turc Enis Batur, La Pomme, qui décrit la genèse du tableau de Gustave Courbet, L’Origine du monde, et l’histoire épique de son commanditaire, Khalil Pacha, ambassadeur à Paris de l’Empire ottoman. Le tableau de Courbet qui figurait sur la couverture du livre a été, lui aussi, considéré comme « obscène ». Le juge avait demandé la preuve qu’il s’agissait bel et bien d’une peinture exposée au Musée d’Orsay.

Guillaume Perrier

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Sources

Source : Le Monde du 1 novembre 2010

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