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La Gay Pride d’Istanbul : beaucoup de revendications derrière la fête

vendredi 25 juillet 2008, par Marie-Antide

A Paris, le 29 Juin dernier, la fête était dans la rue, dans ce long cortège de la 7e Gay Pride qui s’étirait sous le soleil entre Denfert-Rochereau et Bastille. Il faisait chaud, l’air était saturé des décibels de Village People et autres « It’s raining men, alleluia ! », la foule dansait heureuse, amoureuse, insouciante, qui en jean-Tshirt, qui en costume artistement composé.

Plus loin, des hommes enlacés au torse bronzé se déhanchaient en rythme et certains travestis aux corps sculpturaux, souples et magnifiques n’avaient pas hésité à dévoiler leurs seins ronds, fermes et fiers sous le ciel parisien. Les drag-queens, provocantes et amicales, posaient à l’infini pour une nuée de photographes amateurs, attentives à distribuer sourires et œillades à ces artistes improvisés.

Au même moment se déroulait la Gay Pride d’Istanbul, qui s’étirait dans une ambiance bon enfant entre la place de Taksim et Tünel, tout le long de l’avenue Istiklal. La foule était plus sage, moins exhibitionniste. Le cortège s’était organisé autour d’un immense drapeau arc-en-ciel déployé sur toute la largeur de l’avenue et porté par des membres des associations turques de gays et lesbiennes. Sur des rythmes de pop turque ou de musique orientale, la foule brandissait des pancartes aux slogans explicites : « La morale commune, à qui appartient-elle ? », « Non aux limites de notre droit d’association ! » ou encore « Aux voilées, le droit à la formation, aux travestis, le droit au travail ! » en référence à la triste réalité dans laquelle les travestis n’ont que la prostitution pour vivre.

Ce cortège clôturait la « Semaine des Fiertés », tenue pour la cinquième année consécutive, au cours de laquelle ces associations organisent colloques, expositions et autres manifestations pour se faire connaître. Dans un pays où près de 75% des personnes interrogées se disent « dérangées par l’homosexualité » mais où des chanteurs et artistes parmi les plus populaires sont notoirement homosexuels, les associations gays et lesbiennes luttent pour faire entendre l’existence de leur communauté et dénoncer l’homophobie ambiante, les discriminations basées sur l’orientation sexuelle, les harcèlements de la police …

Le cas de l’association Lambda-Istanbul est explicite. Cette association est parmi la plus importante dans cette sphère associative et très active dans le soutien apporté aux personnes homosexuelles. Elle a notamment réalisé une enquête qui, sur la base de 400 interviews, vise à recenser les difficultés rencontrées par un homosexuel en Turquie : 40% se forcent à des relations hétérosexuelles, 56% vivent mal leur homosexualité, 88% la cachent à leur famille, … Cette association est tombée sous le coup d’une procédure d’interdiction entamée par une Cour de Justice de Beyoglu (Istanbul) au motif qu’elle portait « atteinte à la morale publique ». Début Juin, le procureur a eu gain de cause et sa fermeture a été ordonnée. L’association a fait appel, soutenue par plusieurs (mais pas si nombreux) journalistes et personnalités turcs alors que cette décision avait un bien plus large retentissement à l’étranger.

Pour que les choses changent, il faut gagner en visibilité. Et la visibilité appelle la violence, une violence homophobe qui alimente trop souvent les faits divers. La marge de manœuvre des associations est donc étroite, surtout dans une société conservatrice comme la société turque. « Comment voulez-vous que nous parlions de sexe dans un pays où le Conseil supérieur de la radio et télévision (RTÜK) déconseille « Sex in the City » aux moins de 18 ans ! » lance goguenard Murat Celikkan, journaliste cité dans par le Turkish Daily News.

L’arrivée d’un AKP à la morale conservatrice ne crée pas un climat favorable et souligne la situation unique de la Turquie, seul pays musulman à avoir autorisé les opérations pour changer de sexe. Et c’est avec une certaine raideur que le parti a reçu le soutien enthousiaste du couturier Cemil Ipekci en début d’année : celui-ci s’est déclaré « conservateur homosexuel » et a affirmé qu’il aurait porté le voile s’il avait été une femme. Dans la même veine, une association « Rose et Gris » a lancé l’idée d’une mosquée réservée aux homosexuels pour ne pas déranger la communauté des pratiquants hétérosexuels car enfin « il faut bien prier pour le salut de nos âmes non ? » remarque mi-figue mi-raisin l’un de ses membres.

En attendant que le temps, secondé par l’Union européenne peut-être, œuvre en faveur de la reconnaissance de leur communauté et de leurs droits, Lambda a rendu public son concours annuel de la personnalité la plus homophobe en lui attribuant « le prix de la tomate aux hormones » : le lauréat incontesté est le quotidien Vakit … très proche de l’AKP !

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