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Turquie : un conservatisme de façade (2)

jeudi 25 septembre 2008, par Mehmet Akkus, Neşe Düzel

Jeune fille turque portant le foulard

« Nous avons fait une nouvelle étude. Les résultats sont très surprenants ! La Turquie s’éloigne du conservatisme, elle se modernise et s’occidentalise. Les conservateurs augmentent seulement dans les milieux les plus visibles de la population. »

« Lorsqu’on dit que le pays glisse vers un Islam modéré, c’est une tempête dans un verre d’eau. Tandis que le pourcentage de ceux qui font le ramadan, la prière ou bien de celles qui se couvrent la tête diminue. Plus le niveau de vie augmente, moins on pratique. »

« Si les questions économiques étaient plus débattues entre les médias et les politiciens, l’AKP s’en trouverait affaibli. La situation économique de la population va en empirant. Lorsque l’Etat présente une inflation de 10%, la population la ressent pour sa part à 35%. »

- Pourquoi Adil Gür ?

Actuellement, nous assistons à une rude bataille qui oppose les médias aux hommes politiques, bataille comme le pays n’a pas connue depuis longtemps. Quelles seront les conséquences politiques d’une telle bataille ? Comment les électeurs la juge-t-elle ? L’AKP va-t-il en sortir affaibli ou bien renforcé ? Quelles seront les conséquences sur les médias ? Comment évolue la cote de confiance de l’AKP ? Dans six mois, auront lieu les municipales, que se passera-t-il ? Quels sont les facteurs pouvant faire basculer ces élections ? Le pourcentage des conservateurs augmente-t-il ?
Nous en avons parlé de tout cela avec Adil Gür, le grand spécialiste des études d’opinion en Turquie. Il a su prévoir avec exactitude les résultats des élections de 1995 et de 2007. Il est le propriétaire de l’institut de sondage A& G, l’un des plus importantes de son secteur.

Après des études de droit, il a travaillé 17 ans aux côtés de Tarhan Erdem, doyen de la profession. Il crée sa société en 2004. Depuis il a collaboré avec les plus grandes institutions du pays, ainsi que avec tous les grands partis et hommes politiques.

- Suite de l’article N°1

- Y a-t-il d’autres surprises dans votre enquête ?

Par exemple, ceux qui, jusqu’à hier, entraient dans les bureaux de la fonction publique en disant « bonjour », commencent à dire aujourd’hui ‘selamünaleyküm’. Ils agissent de cette manière en espérant un règlement rapide de leurs demandes ; les conservateurs de « circonstance » sont en augmentation.

- Selon vous, le nombre de personnes qui font le ramadan n’a pas augmenté ?

Le nombre de personnes qui pratiquent le ramadan n’a pas augmenté. Au contraire, il est en diminution. J’ai en main des données sur 10 ans, en 1999 ceux qui pratiquaient un ramadan complet représentaient 60% de la population. Aujourd’hui le nombre de ceux qui le suivent pendant le mois complet est descendu à 50%.

- Le port du foulard a-t-il aussi baissé ?

Lors de notre enquête en 2003, pour le journal Milliyet, le taux était de 64%. En 2008, il est descendu à 60%. Le pourcentage de ceux qui pratiquent la prière est en diminution également.

- C’est-à-dire ?

La proportion de ceux qui disent « je ne fais jamais la prière » a augmenté. Je ne peux dévoiler les résultats de demain, mais ce que nous pouvons dire c’est que la Turquie ne devient pas plus conservatrice, bien au contraire, elle adopte des modes de vie modernes. D’ailleurs, pendant ce mois du Ramadan, aucun programme de télévision religieux n’est placé parmi les 20 émissions les plus regardées. Et, étonnant pour un pays qu’on dit conservateur, 30% de la population regarde régulièrement les feuilletons télévisés, ce qui veut dire que la Turquie aime regarder ceux qui jouent au conservateur.

- La personne ne risque-t-elle pas de ce confondre avec ses actes et pas avec ses idées ?

Le nombre de conservateurs de façade a augmenté avec l’arrivée au pouvoir de l’AKP, mais en cas de changement de pouvoir, ils changeraient aussitôt également. En Turquie nous créons une tempête dans un verre d’eau ; il se dit que le pays glisse d’un Etat laïc vers un Etat islamique modéré. Or, nos différentes enquêtes ne montrent pas cela, au contraire. La population de la Turquie est jeune. 75% des femmes âgées de plus de 43 ans se couvrent les cheveux d’un foulard, tandis qu’elles sont moins de 50% à le faire entre 18 et 27 ans. Ceci prouve que le taux de femmes portant le foulard et de pratiquants sera en baisse les prochaines années. En plus, l’augmentation du niveau de vie et d’éducation provoquera une désaffection de la religion.

- Çetin Altan dit qu’une personne dans le besoin ne peut pas être laïque.

Il a raison. Le Premier Ministre dit que : “le revenu par habitant est actuellement de 9 000 dollars par personne, dans 5 ans il sera de 15 000 dollars ». Si ce qu’il annonce se réalise, nous aurons une Turquie moins religieuse et moins conservatrice. En réalité le débat laïc / anti-laïc sert les intérêts de l’AKP et du CHP, il empêche le débat sur l’économie.

- Qu’est-ce que cela changerait si on parlait d’économie ?

Dans le conflit entre les médias et les politiques si au lieu de parler des malversations, ils parlaient d’économie, l’AKP en sortirait affaibli. Cette année beaucoup de nos enquêtes d’opinion montrent que la situation économique des ménages empire. Une grande partie de la population est inquiète pour son avenir.

- Pourquoi ?

Parce qu’en Turquie, plus de 50% des électeurs vivent dans des conditions difficiles, avec des revenus peu élevés. Ces personnes n’achètent pas tous les produits pris en compte pour le calcul de l’inflation. Ils achètent des produits de premières nécessités comme du pain, du sucre, du thé, de la farine ou bien du beurre. La farine à elle seule a augmentée 50%. Le chômage ou les difficultés de pouvoir d’achat affaibliront l’AKP. Mais l’’absence d’alternative sérieuse maintient encore au pouvoir ce parti.

- Les accusations de corruption contre l’AKP sont en hausse. Quelles seront, selon vous, les conséquences de cette bataille entre les médias et les politiques ?

Elles seront minimes. Dans le passé, aucun pouvoir n’a changé pour des raisons de corruption. S’il n’y avait pas eu la crise de 2001, L’ANAP et le DYP ne seraient pas tombés en dessous du seuil des 10%. Si Abdullah Öcalan n’avait pas été arrêté, Ecevit ne serait pas resté au pouvoir. Seules les personnes ayant un certain niveau d’éducation sont sensibles aux délits de corruption. La majorité de nos concitoyens apprécient ceux qui travaillent. S’ils travaillent bien, peu importe qu’ils fraudent. Le critère d’honnêteté n’est pas aussi important qu’on le prétend. Seul 15 à 20 % des électeurs se disent interpellés par des accusations de corruption. 80% n’y prêtent pas attention

- Le Premier Ministre mène une lutte d’une rare violence contre un groupe de média. Pensez-vous qu’il est fait des études sur les conséquences de cette bataille ?

Sûrement qu’ils en ont fait et qu’ils en feront d’autres. Monsieur Erdogan et les cadres du parti sont très friands des enquêtes d’opinion. Ils ont en permanence trois ou quatre instituts de sondages qui travaillent pour eux. Selon moi, sa réaction n’est pas seulement due au fait que son nom soit mêlé à l’affaire de corruption « Deniz Feneri ». Cela ne s’arrêtera pas là …

FIN

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Sources

Source : Taraf, septembre 2008

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