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Turquie : voile et innovation

vendredi 12 septembre 2008, par Marillac, Oral Çalışlar

« La couturière Rabia Yalçin qui s’est illustrée en employant le motif de la grappe de raison a été récompensée pour toute l’importance qu’elle a su accorder à l’environnement ainsi que pour ses conceptions très novatrices ». Voilà la nouvelle telle que rapportée par les journaux.

Dans le cadre de la semaine de la Haute Couture, Rabia Yalçin a remporté ce prix pour un défilé organisé au Westin Hotel sous le titre « recyclage et faible consommation ».

Et ce sont des photos toutes plus surprenantes les unes que les autres qui ont pris place dans les journaux au sujet de ce défilé de mode. L’un des modèles apparaît avec une jupe surmontée d’un corps nu en dehors d’un soutien-gorge et d’une écharpe jetée sur les épaules. Sur ses bras, le motif de la grappe de raisin. Un autre modèle, noir cette fois-ci, pose de profil attirant l’attention par un impressionnant décolleté. A vrai dire tous les modèles sont distingués et attirants. Les vêtements et la conception sont par contre surprenants.

Presque tous nos journaux ont relayé le succès de cette grande couturière. On l’a vue posant au milieu de ses mannequins et portant le trophée nouvellement remporté. C’est tout sourire qu’elle brandit la petite statue. Après ce succès, voilà ce qu’elle a déclaré aux journalistes : « je suis persuadée qu’il convient de toujours considérer des sujets d’importance, des sujets soulignant des responsabilités sociales. Dans les travaux qui suivront je me pencherai sur les questions écologistes et je continuerai à essayer de nouveaux matériaux. »

Voilà une belle réussite. Qui ne peut se réjouir qu’une femme en Turquie puisse en être l’auteur ? Mais Rabia Yalçin a comme un « défaut » : elle porte le turban. Ou pour le dire autrement le voile. Lequel de ces deux mots utiliser est récemment devenu une question en soi. Certains sont pour turban. Et se fâchent si vous dites voile. Les autres préfèrent la version alternative. Enfin quoi qu’il en soit, il est vrai que Rabia Yalçin se couvre la tête.

Voilà un succès qui commande que nous nous réjouissons tous. La plupart de nos journaux ont fait de cette information leur tribune. Nous savons tous qu’ici, à la vue de cette photo, toute une partie de la population réagit. Dans notre pays, sur certains sujets nous parvenons à une telle cristallisation des positions qu’on n’est plus même en mesure d’apprécier une réussite pour ce qu’elle est. C’est la réaction qui oriente l’apparence.

Si Rabia Yalçin avait été un homme, on n’aurait connu aucune difficulté. Comme il n’est pas de débat concernant l’habit des hommes, son identité ou son appartenance ne serait pas immédiatement apparue. Mais Rabia Yalçin est une femme. Une femme voilée. Savons-nous bien quelle est la vision du monde qui habite cette femme ? Bien évidemment que les gens qui suivent cette affaire par la presse ne sont pas en mesure de s’en faire la moindre idée. Et au final, cette femme a remporté un prix de « couturière la plus novatrice ». Quand il est question de son métier, elle est considérée comme novatrice. Mais parce qu’elle se couvre la tête, elle est vue par certains comme un danger potentiel.

Avec la diffusion progressive de la religiosité, c’est toute une partie de la société qui éprouve la peur sincère de voir le régime changer. Je m’efforce de comprendre ces gens. Je suis partisan d’évaluer les motifs qui les poussent à faire preuve de telles réactions.

Mais il est impossible de ne pas voir également qu’à côté de ces peurs et appréhensions se tient une véritable réaction sociale. La conviction selon laquelle les personnes voilées et les parties de la population les plus religieuses représentent un monde arriéré est une conviction des plus partagées dans une certaine frange de la société turque. Et l’on lie sans cesse le regain de religiosité et la fondation d’un régime et d’un monde arriéré.

Il est ici une part de vérité. Mais ce n’est pas tout. La vie se tient aussi dans un réseau de relations des plus complexes. L’idée selon laquelle les personnes se voilant par conviction religieuse ou les personnes à haute sensibilité religieuse sont incapables d’adopter des comportements modernes n’est pas toujours fondée. Et Rabia Yalçin est un de ces exemples.

Mais il ne faut pas s’arrêter là. Nous sommes tous témoins que la partie la plus religieuse de la société turque a connu ces dernières années une mutation, une ouverture au monde moderne et à la démocratie. La Turquie – et cela comprend les plus religieux d’entre nous – est en train de vivre un vrai changement, une vraie métamorphose. Ce sont de nouveaux rapports que l’on cherche à établir avec le monde moderne.

Et cette évolution contribue fortement au développement de la Turquie, à sa démocratisation comme à sa modernisation. Si nous étions en mesure de commenter tout cela en nous débarrassant de nos disputes et de nos préjugés acquis sur la scène politique, il est certain que nous parviendrions alors à des analyses et conclusions plus pertinentes.

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Sources

Source : Radikal, le 10-09-2008

- Traduction pour TE : Marillac

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