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Instruira-t-on la remise en liberté de Agca ?

lundi 23 janvier 2006, par Marillac, Murat Yetkin

« Après l’affaire Agca, c’est un nouveau scandale qui éclabousse la justice à Beyoglu. Une réforme de la justice s’impose de toute urgence. » Murat Yetkin, correspondant du quotidien Radikal à Ankara, aborde l’affaire Agca sous l’angle de la crise d’un système judiciaire dont la visibilité des décisions est accrue aujourd’hui par la transparence qu’imposent l’UE, les médias et la société civile. La réforme est urgente, réclamée, non sans arrière-pensée par l’opposition : le gouvernement de Tayyip Erdogan se lancera-t-il dans une telle aventure à moins de 20 mois des échéances électorales de 2007 (présidentielles et législatives) ?

© Radikal, le 22/01/2206
© Turquie Européenne pour la traduction

C’est la Cour de cassation qui devait établir l’erreur dans les décisions de justice qui ont abouti à la libération de Mehmet Agca, l’assassin de Abdi Ipekçi. La première chambre pénale de la Cour de cassation se prononçant le 20 janvier sur le recours déposé par le ministre de la justice Cemil Ciçek le 17 du même mois a jugé que les décisions ayant conduit à la libération de Agca n’étaient pas fondées. Que la décision du juge suprême ait été prise aussi vite et à l’unanimité constitue un message fort. Sur ce, Agca devait être appréhendé dans les minutes qui ont suivi par la police d’Istanbul et être remis en prison. C’est désormais au tour de la seconde chambre criminelle de Kartal (Istanbul) dont la décision a été invalidée de se prononcer à nouveau mais à la lumière cette fois des 5 pages de commentaires émis par la Cour de cassation. On s’attend à une correction du calcul de la peine.
La Cour de cassation a jugé cette décision de libération anticipée infondée sur trois points :

- 1- On ne peut pas déduire de la peine infligée pour le meurtre d’Abdi Ipekçi en Turquie, la peine infligée en Italie pour tentative d’assassinat sur la personne du Pape.

- 2- La peine reçue en Italie a été mal calculée : ce n’est pas 20 ans mais 19 années, 1 mois et 1 jour.

- 3- Le cas de Agca ne se prête pas à la loi de remise de peine promulguée en 1999 et connue sous le nom de l’amnistie Rahsan (du nom de l’épouse du premier ministre de l’époque, Bülent Ecevit, ndt)

La décision invalidée par la Cour de cassation date du 10 janvier 2006. Elle correspond au refus opposé au recours déposé par l’avocat Turgut Kazan de la famille Ipekçi à l’encontre de la décision de libération prise par la première cour criminelle de Kartal le 5 janvier.
Chacune de ces deux décisions se basent sur le document d’incarcération et d’application de la peine préparé par le ministère public de Kartal et, en fait, impliquent l’erreur contenue dans ce document.
Le ministre de la justice Cemil Ciçek a joué un rôle important dans la cassation de cette décision de justice qui avait soulevé une large réprobation dans l’opinion publique turque. Mais cette procédure n’a été rendue possible que par lui, c’est-à-dire en vertu d’une intervention politique. L’erreur judiciaire a été corrigée par le juge mais sur intervention de l’exécutif. Essayons d’aller un peu plus loin.

Le poids de l’exécutif

Rend-on compte des erreurs judiciaires qui, comme dans le cas de Agca, peuvent prendre des proportions assez graves ? Pour répondre à cette question, il convient de se tourner une fois de plus vers le ministre de la justice, c’est-à-dire encore une fois vers le pouvoir politique. Parce que encore une fois, la seule voie qui permette de se poser la question et d’enquêter pour déterminer si le juge a pris cette décision par accident, par négligence ou intentionnellement, ne peut être empruntée et ouverte que par le seul pouvoir exécutif.
Il existe deux possibilités :

- 1- Soit le ministre de la justice décide de recourir aux services de l’inspection de son ministère et en fonction de leur rapport décidera ou non de confier l’instruction de l’affaire au Conseil Supérieur de la Magistrature qu’il préside lui-même.

- 2- Soit, deuxième solution, le ministre peut donner une consigne d’instruction à la plus haute autorité judiciaire du département, en l’occurrence le Procureur principal d’Istanbul.
Une troisième voie consisterait en un dépôt de plainte par, mettons l’avocat de la famille Ipekçi, ce qui, en tout état de cause, reviendrait à emprunter l’une des deux voies précédentes.

Il n’est pas nécessaire d’en dire davantage.
Chaque jour apporte son lot d’évènements nous prouvant, si besoin était, que le principal problème de ce pays est bien la justice comme le remarquait Deniz Baykal le leader du CHP (Parti Républicain du Peuple, centre-gauche).
D’après la révélation du quotidien Milliyet en fin de semaine dernière, la remise en liberté, après une fusillade, de Turan Cevik, un exportateur interlope sur décision du Procureur de Beyoglu, dont le fils est associé du prévenu, constitue un nouveau scandale.
C’est désormais une certitude que la Turquie a un besoin impérieux d’une réforme judiciaire de grande envergure et que nous devons nous doter d’un système judiciaire conforme aux besoins de l’époque et du pays. Tant que le gouvernement n’initiera pas cette réforme, il est clair qu’il sera encore longtemps confronté à des scandales qui l’affecteront, qu’il en soit responsable ou non.

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