Au premier coup d’oeil, il semble que le plan d’action proposé par la Turquie( jeudi 26 janvier 2006) sur la question chypriote ait été minimisé puis refusé par la seconde partie au contentieux chypriote, à savoir les Chypriotes grecs. Par ailleurs, la presse du 26 janvier 2006 rapportait que l’ONU comme les milieux européens le trouvaient positif en principe et par là digne d’examen ; un même son de cloche nous provenait du côté de l’administration américaine.
Ce développement est l’expression d’une initiative appropriée du point de vue de la politique turque sur ce sujet ; initiative qu’il convient d’accueillir positivement. C’est en effet un développement important en cela qu’il résulte d’une initiative diplomatique de la Turquie mais surtout en ce qu’il permet d’attirer l’attention sur l’authentique nature du problème chypriote. Il est d’ailleurs possible de trouver l’essence de cette différenciation parmi les articles de ce plan d’action. En outre, c’est bien ce sur quoi le premier ministre (Erdogan) et son ministre des affaires étrangères (Gül) devaient insister au cours de leurs interventions.
L’essence de la question chypriote, la catégorie dans laquelle elle rentre, est celle d’un différend lié à la paix et à la sécurité internationales. Depuis les années 60-70 jusqu’à aujourd’hui peut-être n’avons nous pas été confrontés à des problèmes qui auraient pu souligner cette nature précise du problème. Et pour cette raison, il peut paraître incompréhensible de voir encore la question chypriote ainsi définie. Chacun est en mesure de donner son opinion quant à la nature véritable de ce différend.
Mais précisément s’il nous faut définir les relations qui se sont nouées sur un plan juridique à propos de cette question, il convient, lorsqu’il est question de déterminer le caractère de ce différend, de porter attention à cette réalité. Et l’on est en droit d’attendre de tous les Etats et de toutes les organisations internationales qui sont, d’une façon ou d’une autre, partie prenante à cette question, qu’ils agissent sur les mêmes bases.
Tout cela signifie, en ce qui concerne la question chypriote, que les organismes habilités à rechercher une solution à un différend dont l’acception relève de façon catégorique de la paix et de la sécurité internationales, seront déterminés dans le cadre de décisions prises sous égide de l’ONU.
Une question d’ordre international
Selon l’ordre du monde dans lequel nous vivons, c’est ainsi qu’est déterminée l’approche d’un problème, sur la forme comme sur le fond. Cette situation juridico-politique induit une réalité juridique à laquelle doivent se conformer l’UE et ses membres. Il n’en demeure pas moins que les milieux européens n’ont de cesse de répéter, depuis le début, que seule l’ONU détient les clés essentielles d’une solution à Chypre. Je pense néanmoins, qu’au-delà d’une formulation de diplomate, il est désormais nécessaire que ce positionnement de l’UE prenne une dimension concrète au travers d’une position qui puisse être véritablement efficace.
Dans la Charte de l’ONU, il est prévu qu’au cas où sur un même sujet un autre accord international venait à prévoir des dispositions différentes de celles prévues par la Charte, c’est la Charte qui doit être considérée comme supérieure et donc la disposition qu’elle contient, prise en compte (article 103).
En ce qui concerne la question chypriote, j’ai déjà précisé que nous n’avons jamais vu les organes de l’UE se fendre d’une déclaration qui irait à l’encontre des compétences de l’ONU. Dans ce cas, donc, comme il a été prévu dans le texte de la Charte de l’ONU, il n’est pas question d’une situation qui nécessiterait l’application d’une mesure aussi dure.
Ce dont il est question, en revanche, c’est la façon dont les Européens ont tendance, en faisant semblant d’ignorer cette réalité, à considérer un certain nombre de sujets relatifs à la question chypriote comme des problèmes ne relevant que du seul acquis communautaire et de son application. Mais une telle situation, comme elle ne semble pas en mesure d’invalider l’importance, le sens, le rôle et la compréhension de la règle concernant la prévalence de la Charte de l’ONU telle que je viens de le rappeler, impose de considérer également le cas chypriote sous cette optique (onusienne).
C’est la réalité que l’UE doit désormais envisager. On ne peut pas attendre que le point de vue d’une UE verrouillée sur l’extension et la libre circulation du marché soit dépourvu de toute information concernant les principes fondamentaux et les règles de l’environnement international dans lequel elle évolue comme on ne peut attendre que l’UE puisse développer à leur égard des politiques qui en infléchiraient l’interprétation.
Or, le ministre des affaires étrangères de l’administration grecque de Chypre, membre de l’UE, M.Yakovu, en utilisant cette approche superficielle de l’UE comme un avantage, peut se permettre de feindre de ne pas considérer le plan d’action d’Ankara (et par là les responsabilités de l’ONU) en parlant de « ce que la Turquie a comme responsabilité vis-à-vis de l’UE ».
La capacité qu’aura l’UE de développer puis d’appuyer une position concernant une solution à la question chypriote sous égide de l’ONU est en fait liée à la question de savoir dans quelle mesure elle peut endosser le costume de puissance globale.
Le cœur voudrait que l’UE, ses membres et ses sociétés puissent faire preuve de la clairvoyance nécessaire à leur faire distinguer tout ce que pourrait entraîner comme conséquences positives le fait de considérer la question chypriote sous un angle élargi.
© Radikal, le 27/07/2006