La déclaration de l’état-major général de l’armée turque en date du 16 janvier et portant sur le triangle « contre guérilla- Gladio - Etat profond » est à situer dans le contexte plus large d’une période marquée par les débats portant sur deux évènements impliquant la justice et la sécurité en Turquie.
L’un d’eux correspond aux événements qui se sont déroulés à semdinli en novembre dernier ;
quant à l’autre, il concerne la libération de Agca et la polémique qui a suivi. Le jour même de la déclaration de l’Etat-major, le meurtrier du journaliste Abdi Ipekçi, Mehmet Ali Agca se voyait exempté de service militaire par l’académie militaire de médecine de Gülhane. Son caractère antisocial constituant le principal obstacle à ce qu’il accomplisse ses obligations militaires. Mais cette structure mentale du personnage n’a pas empêché qu’il commette un crime, ni qu’il soit puni pour cela. Pourtant la peine dont il a écopé pour l’assassinat d’Ipekçi a été réduite sous d’incroyables proportions et ce, jusqu’à sa libération, grâce aux initiatives d’avocats chevronnés et aux décisions de certains juges. En déposant un recours devant la Cour de cassation le 17 janvier, le ministre de la justice, Cemil Ciçek, a souhaité que l’on procède à une nouvelle évaluation de la durée de la peine quitte à ce qu’on aille jusqu’à l’annulation des décisions de ces juges. Lors d’une allocution à son groupe parlementaire, Deniz Baykal (président du CHP, Parti Républicain du Peuple, centre gauche) s’interrogeait crûment sur le situation dans laquelle se trouve aujourd’hui notre système judicaire.
« Gladio ? »
Les militants qui en même temps qu’Agca ont rempli les rangs des organisations nationalistes dès la fin des années 60 ont toujours été tenus pour les gâchettes d’une organisation sécrète dont le nom était Gladio (le glaive), organisée à partir des années 50 par l’OTAN pour répondre à une éventuelle invasion soviétique par des opérations de guerilla. Cette organisation s’est manifestée dans plusieurs pays d’Europe au fil des années 60 et 70. Ses membres s’organisaient dans le cadre de groupes et de partis qui généralement dans leurs pays respectifs faisaient démonstration d’un farouche anticommunisme.
A la même époque, les pays membres de l’OTAN ont commencé de monter des unités spéciales de guérilla au sein de leurs forces armées. C’est ainsi que celui qui allait fonder le MHP (Parti du Mouvement Nationaliste, extrême droite) un peu plus tard Alparslan Türkes, a fait partie des officiers qui ont suivi des cours d’instructeur aux USA. A cette époque en Turquie, une unité du nom de Comité d’Analyse et de Mobilisation est constituée dans le but de mener une guerre de guérilla contre une éventuelle invasion soviétique ; par la suite, elle devait changer de nom, d’objectif et de forme selon les nécessités des temps nouveaux.
La déclaration de l’Etat-major du 16 janvier dernier visait à souligner qu’il n’y avait ni lien ni continuité entre l’actuel Commandement des Forces Spéciales et ce qui , par le passé, a pu s’apparenter à des organisations para-militaires et semi-politiques comme Gladio.
Une déclaration importante de Bahçeli
Avant d’en venir aux évènements de Semdinli, il convient de s’arrêter sur la déclaration importante du président du MHP (extrême droite). Dans un discours où il a précisé qu’il tenait la question de savoir si Agca pouvait trouver sa place au MHP pour une insulte et qu’il rejetait une telle idée, Devlet Bahçeli devait ajouter :
« En Turquie, nous sommes prêts à ce que toute la période de 1968 à nos jours et ce, sous tous ces angles, soit exposée de manière honnête et respectueuse afin que chacun puisse se confronter et se livrer à un examen de conscience devant l’histoire et la nation. »
Un peu plus tôt, lors de l’affaire des drapeaux piétinés (La scène de drapeaux turcs piétinés par des enfants kurdes lors d’une manifestation soulève une vague de réprobation dans le pays l’année dernière, ndt), Devlet Bahçeli avait déjà donné le signal d’un défi par une intervention dans laquelle il critiquait « ceux qui cherchaient à nous remettre dans la rue. » Il s’adresse là à des cercles dont il veut convaincre de la responsabilité dans la manipulation des nationalistes par le passé. La suite pourrait s’avérer intéressante.
Après Semdinli
Nous parviennent de nouvelles informations en ce qui concerne les évènements qui ont suivi les attentats à la bombe du 1 et du 9 novembre à Semdinli. Selon les informations d’Adnan Keskin (chroniqueur au quotidien Radikal, spécialiste des questions judiciaires et juridiques, ndt), il faut ajouter à l’affaire en plus du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan, partisan de la lutte armée contre l’Etat turc, ndt) et des forces de sécurité turques, les forces du PDK (Parti Démocratique du Kurdistan en Irak, ndt) et peut-être même les forces d’occupation en Irak.
La justice tranchera la question de la responsabilité ou non du personnel de gendarmerie dans l’attentat du 9 novembre. Mais pour ce qui est des événements qui ont suivi, de la tentative de soulèvement populaire fomentée par le PKK, de la façon qu’il a eu de ne pas retirer ses forces en Irak comme à l’approche de chaque hiver mais de les laisser stationner en Turquie, ils ont conduit l’agenda le plus profond de l’Etat a se focaliser sur cette question. C’est de ce sujet ainsi que des mesures à prendre dont on a débattu lors du Conseil de Sécurité Nationale du 29 décembre dernier et lors de la réunion gouvernement-armée du 4 janvier.
La déclaration de l’état-major peut être lue comme une réaction aux commentaires selon lesquels on tient pour responsables des événements de Semdinli, non pas les simples forces de sécurité mais les forces spéciales. Tout en soulignant la grande nécessité de ces forces pour la sécurité du pays, l’Etat-major doit aussi envisager des aménagements conformes à l’environnement juridique dans lequel entre une Turquie lancée dans un processus d’adhésion à l’UE.
© Radikal, le 18/01/2206