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Hrant Dink : ses assassins sont-ils plus puissants que le gouvernement ?

mercredi 19 janvier 2011, par Oral Çalışlar

Hrant Dink fut assassiné le 19 janvier 2007. Il avait compris que 2007 serait une année difficile. Ils l’ont d’abord abattu. Il y eut ensuite une grave crise liée à l’élection présidentielle.

Deux mois après l’assassinat de Hrant, le 27 mars 2007, dans l’avion qui nous menait en Arabie saoudite, je posais la question suivante au premier ministre Recep Tayyip Erdoğan : « C’est en considérant ce que l’enquête a permis de mettre au grand jour, que j’affirme que ce sont des forces situées au cœur de l’Etat qui ont assassiné mon ami et confrère Hrant Dink. Vous êtes en possession de bien plus d’informations et de documents que moi-même, et je me demande donc comment vous considérez la question. » Le premier ministre fit une brève pause puis répondit : « moi aussi, ils me menacent. » Le directeur de la rédaction du journal Sabah enchaîna aussitôt : « qui vous menace Monsieur ? » La réponse de Tayyip Erdoğan tint en une phrase : « vous savez très bien de qui il s’agit… »

C’était un mois avant le mémorandum / coup d’Etat électronique du 27 mai, nous étions juste au seuil de cette cristallisation des positions à laquelle allait se livrer la Turquie au cours de l’élection présidentielle. Ce que voulait dire le premier ministre n’échappait à personne.

Six mois avant son assassinat

Le hasard voulut que nous nous rendissions plusieurs fois à Antalya avec Hrant Dink dans le courant de 2006.

En janvier de cette année, nous allâmes ensemble à l’Université de la Méditerranée. Nous réchappâmes de justesse à une provocation. En mai, nous participâmes à une conférence sur les médias organisée par la Fondation Konrad Adenauer et l’Association des journalistes de Turquie.
Mai 2006. Moment précis où l’on attaqua le Conseil d’Etat. Au cours de la pause, nous avions suivi avec Hrant les obsèques du juge Mustafa Yücel Özbilgin [1]à la télévision.

Le premier intervenant de l’après-midi était Hrant. Il dit ceci : « l’état psychologique s’abattant sur la Turquie à l’occasion de cette attaque opérée hier contre le Conseil d’Etat et des conséquences qu’elle ne manquera pas d’engendrer, met en évidence de façon très nette ce vers quoi la Turquie est en train de se diriger. Ce n’est pas la première fois que nous, nous vivons ces expériences d’ingénierie et de design politique. Mais je pense que ce que nous vivons en ce moment relève d’une “profonde ingénierie”… Je ne considère aucun des derniers événements comme des détails (il fait alors une référence à la présidentielle qui approche)…Dans les quelques années qui viennent en Turquie, il est fort possible que vous soyez confrontés à un spectacle qui ne sera pas pour nous réjouir, qui vous stupéfiera bien plus encore, et qui vous fera vous interroger, de façon plus claire encore, sur la direction prise par ce pays… »

Hrant avait vu que l’année 2007 serait difficile. Ils l’ont assassiné en tout premier. Puis c’est une grave crise qui toucha la Turquie lors de l’élection présidentielle.

Des législatives du 22 juillet 2007 à aujourd’hui…

Durant ces quatre années qui nous séparent de la mort de Hrant, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Tout au long de ce procès, nous nous sommes rendus compte que l’Etat était présent dans ce crime et bien plus que ce que l’on sait.
Durant ces quatre années encore, les procès Ergenekon puis Balyoz ont été ouverts, les pustchistes ont été conduits devant le juge. La menace d’interdiction et de fermeture qui pesait sur l’AKP a cessé d’être une menace. C’est dire que les paroles du premier ministre « moi aussi ils me menacent » n’ont aujourd’hui plus beaucoup de sens.
Les informations et les documents sont pour la plupart, accessibles à son autorité. Si l’on parle de pouvoir, alors lui aussi aujourd’hui en a suffisamment.

Quatre ans plus tard

Le procès du meurtre de Hrant Dink, quant à lui, procède d’un sens de l’humour de plus en plus noir à force de s’acharner sur trois porte-flingues. Ce scandale, il est celui de la volonté présidant aux destinées de la Turquie.
Et si notre premier ministre aspire sincèrement à ce que ce pays devienne une terre de justice, alors qu’il se penche sur le cas de Hrant Dink et qu’il le considère de nouveau.

Hrant a été assassiné alors que son gouvernement était au pouvoir. Et la première des responsabilités est celle qui incombe.

Reste-t-il une seule façon de légitimer la honte qu’est devenu cette affaire ?

Erdoğan, peut-il dire aujourd’hui qu’il n’est pas assez fort contre les assassins de Hrant ?

Aujourd’hui, nous serons, quatre ans après, là où Hrant fut assassiné. A 15 heures.

Nous attendons également le premier ministre.

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Sources

Source : Radikal, le 18/01/2011

- Traduction pour TE : Marillac

Notes

[1Magistrat assassiné la veille par un jeune avocat, se proclamant islamiste mais s’avérant en fait lié au réseau ultra-nationaliste Ergenekon. Il s’agissait là d’un classique scénario de déstabilisation du pays.

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