Pourtant dès le départ, les images de policiers turcs, traitant le tueur comme un héros après son arrestation, laissaient craindre que l’affaire ne soit étouffée. Et six ans après, les amis de Hrant Dink, réclament toujours justice. Ils étaient samedi quelques centaines, voire quelques milliers, rassemblés devant les locaux d’Agos, au terme d’une semaine de mobilisation. « Buradayiz Ahparig ! » (Nous sommes là, mon frère !) Comme chaque 19 janvier, les slogans accusateurs ont fleuri. « L’Etat assassin devra rendre des comptes », « Justice pour Hrant ».
La justice, après plus de cinq ans de procédure, a bouclé l’affaire en janvier 2012. La culpabilité d’Ogun Samast, condamné en 2011 à 23 ans de prison et celle de son principal acolyte Yasin Hayal, lui aussi issu des milieux d’extrême droite et de la ville de Trabzon, furent les seules reconnues. 17 autres personnes, dont Erhan Tuncel, un informateur de la police, furent relaxées. Les complicités évidentes dont avaient bénéficié les assassins au sein des forces de sécurité et de la bureaucratie d’Etat, furent balayées. Le juge referma le dossier en concluant qu’il ne s’agissait pas d’un « crime commis en bande organisée ». Les services des renseignements de la gendarmerie et de la police de Trabzon et d’Istanbul, soupçonnés d’avoir joué un rôle dans ce crime, ont été blanchis. Les responsables des services ont même été promus.
Les crimes de l’ État (profond) turc, dont fait partie le meurtre de Hrant Dink, n’ont toujours pas été tirés au clair, bien que le gouvernement actuel, dirigé par l’AKP de Tayyip Erdogan clame que les temps ont changé. Un exemple de cette bienveillance persistante pour les méthodes de cette nébuleuse : la nomination de Nihat Ömeroglu, l’un des anciens juges de la cour de Cassation qui avaient condamné Hrant Dink pour « insulte à l’identité turque » (article 301 du code pénal), au poste de médiateur de la république (Ombudsman), nouvellement créé pour se conformer aux exigences de l’Union européenne. Un scandale relevé même par les habituels défenseurs du gouvernement.
Un espoir est pourtant né de la décision prise le 10 janvier par le procureur de la Cour suprême (Yargitay) qui a décidé de casser le premier jugement. Pour ce magistrat, cet assassinat a été planifié et monté par une organisation qui dépasse les simples exécutants qui ont été condamnés par la justice. Un nouveau procès pourrait donc s’ouvrir dans les mois qui viennent.
Hrant Dink reste pour nombre de ses amis l’une des dernières victimes de la haine anti-arménienne qui persiste en Turquie tant que l’impunité protège les meurtriers. « 1.500.000 + 1 » ... Depuis, le jeune soldat arménien Sevag Balikçi, a été tué le 24 avril 2011 dans une caserne par un autre soldat, militant ultranationaliste. Et plus récemment, au moment des dernières fêtes de Noël, deux vieilles dames, octogénaires, ont été retrouvées égorgées chez elles, dans une mise en scène macabre qui laisse peu de doute sur le mobile raciste du crime. Un enseignant turc d’un lycée arménien d’Istanbul a également été retrouvé mort à son domicile. Une inquiétante série qui plonge la petite communauté arménienne dans l’inquiétude. Une fois de plus.