A Izmir, sur la côte turque de la Mer Egée, des patrons tiennent tête à la concurrence des usines chinoises.
Leur secret ? Le sur mesure, livré rapidement.
La compétitivité vient aussi des bas salaires.
A Izmir
- Siège de Zorlu holding
Sur la route des touristes de la Mer Egée - est l’une des régions les plus florissantes de l’économie turque. Le centre-ville est démodé, mais sa région, parsemée de zonings, produit 12% du PNB de l’ensemble du pays. Par son port, transitent 55% des containers qui sortent de Turquie.
C’est à Izmir notamment que la Turquie fait sérieusement concurrence à l’industrie manufacturière européenne et relève aussi le gant face aux géants chinois et indiens.
« Si vous commandez une télévision en Chine, vous l’avez en un mois et demi au moins. Ici cela prend quinze jours », vante Sertaç Beller, directeur général de Vestel Elektronik, le principal fabriquant de téléviseurs pour le marché européen.
Championne 2005 de l’exportation en Turquie, Vestel (dont nous reparlerons dans une prochaine édition) contrôle 26% du marché des téléviseurs en Europe. Elle travaille à la demande, entre autres pour les marques japonaises.
Localisation stratégique
La position géographique centrale de la Turquie entre l’Europe et l’Asie, la rapidité des livraisons par bateau ou camion vers l’Union européenne (UE) et les bas salaires sont les trois atouts des industriels turcs pour battre la Chine sur le marché européen.
« Comparé à d’autres pays comme la Roumanie ou la Bulgarie, nous sommes beaucoup plus grands », estime Ahmet Zorlu, self-made man et grand patron de Vestel. « Notre industrie s’est développée très vite ces dernières années. Nous pouvons facilement faire la compétition à la Chine. Et la Turquie peut devenir la base manufacturière de l’Europe. »
« Customisation »
Après avoir attiré à elle les emplois des vieux bassins industriels européens, grâce à l’outsourcing, tout en tentant de couper l’herbe sous le pied des anciens pays de l’Est, la Turquie sent toutefois passer le souffle du boulet.
Certains industriels, comme Zorlu, se plaignent d’être tenus par l’UE à d’innombrables contrôles à cause de l’union douanière qui existe entre la Turquie et l’Union depuis 1995.
Cette union douanière a permis la libre circulation des marchandises et le rapprochement des législations, notamment en matière de droits sociaux. « L’UE contrôle beaucoup en Turquie, mais pas au Pakistan », se plaint Zorlu.
D’autres font la comparaison des coûts salariaux et du prix des matières premières et des machines. « Mes coûts salariaux s’élèvent à presque 11 000 dollars par ouvrier syndiqué. C’est dix fois la Chine ou l’Inde », relève Muharrem Kaykan, dirigeant de l’usine textile Söktas et ancien président de la fédération patronale Tüsiad.
Pour faire face à telle concurrence, les industriels turcs parlent de « customisation », la production à petites quantités de produits faits sur mesure pour la clientèle. Malgré son gigantisme, Vestel se dit en mesure d’honorer les commandes les plus petites à travers son programme d’Original Design Manufacturing (ODM). Söktas, elle, fournit les boutiques parisiennes par colis DHL.
Seules les grosses commandes intéressent les Chinois, selon les industriels turcs qui parient sur le marché européen, plus haut de gamme et plus avide de qualité que le marché américain.
Fondamentalement, l’industrie turque n’a pas grand-chose à attendre d’une adhésion à l’UE si ce n’est la possibilité de voyager sans visas. Mais elle a besoin d’un marché et d’alliés bienveillants. « En Europe, la Turquie n’est pas l’Europe », dit Muharrem Kaykan. « En Chine, la Turquie est l’Europe. »
© La Libre Belgique 2006