Alain Juppé, en visite en Turquie ce jeudi, tente de renforcer les relations franco-turques. Mais après avoir été tournée vers l’Europe, la diplomatie du pays dirigé par Erdogan semble changer de cap...
Quelle est actuellement la diplomatie turque ? Se déploie-t-elle vers l’Union Européenne ou le Moyen-Orient ?
Ahmet Insel * : Actuellement il est difficile de définir la stratégie de la Turquie. Son ambition européenne ne dépend pas exclusivement de la volonté du gouvernement turc. Il existe aussi un blocage européen à l’adhésion de la Turquie, qui suspend l’évolution de sa stratégie.
Le couple Angela Merkel – Nicolas Sarkozy est franchement hostile à l’adhésion de la Turquie. Il devient alors difficile pour le gouvernement turc de poursuivre le processus d’adhésion.
Par ailleurs, il existe évidemment du côté de la Turquie une certaine lassitude vis-à-vis des tergiversations européennes, ainsi qu’une perte d’attrait de l’Europe. Du fait de son ancrage dans la crise économique et de l’absence au sein du gouvernement européen de prise de décisions rapides. L’Europe apparaît comme une civilisation importante, attrayante référentielle mais en déclin. Le gouvernement Turc ne manifeste plus sa volonté débordante d’adhérer à l’Europe.
Est-ce que la Turquie se tourne alors vers le Moyen-Orient ? Probablement. La Turquie mène aujourd’hui une politique régionale autonome. Du fait de l’absence de politique extérieure européenne envers la Turquie, cette dernière mène sa propre diplomatie régionale. Ce retour au Moyen-Orient apparaît comme une politique alternative en raison de l’absence de dispositions européennes favorables.
Pourquoi ce choix d’adopter une politique régionale ?
La lassitude envers l’Europe n’est pas la principale raison. La principale raison est géographique. La Turquie se situe en grande partie au Moyen-Orient, ses principales frontières sont avec cette région terrestre. Les Balkans font aujourd’hui partie de l’Union européenne, l’espace propre à la Turquie pour mener une politique régionale se trouve donc dans le Caucase et le Moyen-Orient.
Quand a eu lieu ce changement de cap dans la diplomatie turque ?
Il n’existe pas de date précise cela relève plutôt une évolution progressive,d’une certaine usure avec l’Union européenne. La crise de 2008 a favorisé le repli des pays membres l’UE sur eux même, afin de gérer leur crise économique. Les relations turco-européennes sont devenues complexes. La non résolution du conflit chypriote, bloque l’évolution de l’adhésion. Depuis 3-4 ans nous assistons à un éloignement progressif.
Comment se manifeste cette politique régionale, quels sont les moyens mis en place ?
Un partenariat économique a été instauré avec la Syrie ainsi qu’une libre circulation des individus avec un système de suppression de visa. La Turquie possède également des partenariats économiques et politiques très proches avec la Jordanie, l’Egypte et la Tunisie. Cependant avec les récents événements, ces éléments s’effondrent. Les révolutions arabes ont complètement changé la donne.
D’une part, nous observons une accélération de l’importance de la Turquie dans la région à travers l’influence du parti politique turc AKP. D’autre part, les printemps arabes ont rendu la politique de la Turquie dans la région totalement imprévisible.
L’avenir de l’Egypte, de la Syrie, ainsi qu’en Libye est assez incertain. Nous ne pouvons pas prétendre que la Turquie dispose d’une politique identifiable dans cette aire géographique. De surcroît, la Turquie a tendance à s’aligner ces derniers temps, sur la stratégie diplomatique américaine en ce qui concerne la Syrie et l’Irak.
*Ahmet Insel est un économiste et politologue turc, enseigant en France et à l’Université de Galatasaray.