Logo de Turquie Européenne
Accueil > Revue de presse > Archives 2008 > 01 - Articles de janvier 2008 > Ce que le projet d’Union Méditerranéenne peut nous apprendre sur (...)

Ce que le projet d’Union Méditerranéenne peut nous apprendre sur l’Europe

mercredi 30 janvier 2008, par Jean Marcou

Janez Jansa

Plusieurs déclarations et événements, survenus au cours de la semaine qui vient de s’écouler, ont contribué à dévoiler, un peu plus, les enjeux inédits du projet français d’Union Méditerranéenne (UM).

Janez Jansa (notre photo), le Premier Ministre de la Slovénie, qui préside actuellement l’UE, a émis de fortes réserves à l’égard de l’UM, devant le Parlement européen, le 16 janvier 2008. Premier pays d’Europe Centrale et Orientale à présider l’UE, depuis les deux derniers élargissements, intervenus en 2004 et 2007, la Slovénie s’attache, certes, à donner une dimension particulière à sa présidence, car elle redoute que celle-ci apparaisse comme une simple période de transition, avant la présidence française qui doit intervenir, au second semestre de l’année 2008.

Il reste que, sur le fond, Janez Jansa s’est fait l’écho, à ce propos, de préoccupations que partagent un certain nombre d’États européens. Selon lui, en particulier, l’UM va faire « doublon » avec le processus de Barcelone, en excluant de surcroît les pays européens non-méditerranéens.

Au même moment, à Madrid, se tenait, par ailleurs, le Forum des Nations Unies sur l’alliance des civilisations, co-sponsorisé par la Turquie et l’Espagne. Ce forum, symbolique s’il en est, a vu Recep Tayyip Erdogan rejeter, une fois de plus, l’hypothèse d’un partenariat privilégié avec l’UE et rappeler que la candidature pleine et entière de son pays à l’Europe, restait plus que jamais d’actualité. « Selon les règles de l’Union Européenne, on est membre ou bien on n’est pas membre de l’Union », a déclaré de façon insistante, le leader turc, qui a récemment demandé à pouvoir rencontrer conjointement les responsables allemand et français (Angela Merkel et Nicolas Sarkozy), qui se montrent réticents, voire hostiles à la candidature européenne de son pays. Le Président français qui, pour sa part, s’est employé, au cours des dernières semaines, à découpler son projet d’UM de la question de la candidature turque, a fait savoir que son emploi du temps ne lui permettrait pas de participer à une telle rencontre tripartite, en février, à plus forte raison si elle se tenait pendant la visite officielle, que doit effectuer Recep Tayyip Erdogan en Allemagne.

On savait que la candidature de la Turquie divisait les États membres de l’UE, mais l’on a pu voir aussi qu’elle tend à opposer parfois ces derniers aux institutions européennes et, en particulier, à celles qui, comme la Commission européenne, sont directement investies de la conduite des négociations concernant l’adhésion de la Turquie.

Le projet d’UM, quant à lui, semble susceptible de produire des effets similaires, tant entre les Etats eux-mêmes qu’entre les États et l’Union. En ce qui concerne les Etats membres, ceux du Nord, sont souvent sceptiques vis-à-vis du projet français, parce qu’ils craignent d’être exclus de l’opération, tout en étant conduits à la financer indirectement, par le biais du budget de l’UE. Quant au pays du Sud, comme l’Italie ou l’Espagne, qui ont a priori donné leur aval à l’UM, ils paraissent suivre ce mouvement moins par conviction que parce qu’ils peuvent difficilement s’opposer à un projet qui place la Méditerranée au cœur de ses préoccupations. Ainsi s’ils ne sont pas contre, ces pays ne sont pas encore totalement gagnés à l’UM. Et, ce qui va compliquer les choses pour qu’ils le soient, c’est qu’ils ont, pour la plupart d’entre eux, une position sur la candidature turque, qui est différente de celle de la France.

Lors du Forum sur l’alliance des civilisations, par exemple, l’Espagne par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos, a réaffirmé avec force son soutien à la candidature turque. Pour le chef de la diplomatie espagnole, notamment, « une Europe avec la Turquie aura des frontières élargies et pourra assumer des responsabilités supplémentaires vis-à-vis du Moyen-Orient et de l’Asie Centrale ». On comprend que Miguel Angel Moratinos puisse être sensible à de telles perspectives géostratégiques, puisqu’il a été de 1996 à 2003, envoyé spécial de l’UE pour le processus de paix au Moyen-Orient. Mais sa position reflète une vision stratégique du futur de l’Europe, qui est en général celle des pays qui soutiennent la candidature turque, tandis que ceux qui rejettent cette dernière et où le « question turque » est souvent devenue aussi un problème de politique intérieur, déclarent vouloir privilégier avant tout la cohésion de l’Europe, après les derniers élargissements de 2004 et 2007.

Quant aux institutions européennes, comme la Commission, si elles entendent d’abord mettre en œuvre l’engagement pris d’ouvrir des négociations avec la Turquie, en 2004/2005, elles s’interrogent aussi sur les conséquences du projet français d’UM. En effet, d’une part, elles pensent qu’il convient de définir le positionnement de ce dernier par rapport à des structures européennes déjà existantes, comme le partenariat euroméditerranéen (ou « processus de Barcelone »), d’autre part, elles ne souhaitent pas voir l’UM interférer dans sa Politique Étrangère de Voisinage (PEV), c’est-à-dire plus généralement supplanter l’Union Européenne, en matière de politique étrangère, un domaine où Bruxelles a bien du mal à s’affirmer, au demeurant.

Ainsi, il est probable que dans les mois à venir, et à plus forte raison, avec la perspective de la présidence française de l’UE à l’horizon, le projet d’UM risque d’être intéressant à suivre, non seulement en lui-même, mais aussi pour ce qu’il peut nous apprendre du fonctionnement et les équilibres de l’Europe.

Télécharger au format PDFTélécharger le texte de l'article au format PDF

Sources

Article original sur le site de l’OViPoT

Nouveautés sur le Web

SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0