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Turquie : les enjeux du référendum du 12 septembre

dimanche 12 septembre 2010, par Jean Marcou

Campagne du referendum du 12 septembre 2010À la veille du référendum qui doit se prononcer sur une révision constitutionnelle qui se propose principalement de changer le mode de désignation de la hiérarchie judiciaire et le statut de celle-ci, les différents protagonistes de la vie politique turque fourbissent d’ultimes arguments pour inciter les électeurs à soutenir le projet, à le rejeter ou à bouder les urnes. Le premier ministre s’en remet désormais à une formule simple : voter « oui » c’est choisir la « Constitution du peuple » et s’éloigner d’une « Constitution militaire ». Pour arriver à ses fins le gouvernement de l’AKP doit en effet impérativement ratisser large, et convaincre les électeurs indécis que les réformes qui sont proposées vont amplifier la démilitarisation et plus généralement le recul du pouvoir d’Etat observés au cours de la dernière décennie. Face à cette nouvelle offensive réformatrice du parti majoritaire, le CHP, principal parti d’opposition, qui depuis 4 mois dispose en outre d’un nouveau leader, a fait évoluer son discours. Car, c’est moins le risque de l’agenda caché islamiste qu’il dénonce maintenant en l’occurrence que celui d’une concentration excessive des pouvoirs dans les mêmes mains. Le scénario d’une nouvelle victoire du parti actuellement au pouvoir inquiète en fait une part non négligeable d’électeurs, qui sans être favorables au régime établi par les militaires après les coups d’État successifs, veut écarter le spectre d’un État AKP. Pourtant, le scrutin de dimanche prochain ne se résumera pas à un affrontement frontal « Evet (Oui)/Hayir (Non) », car les Kurdes du BDP ont réussi à ouvrir une troisième option : celle du boycott. Là encore il ne s’agit pas de défendre les institutions de 1982, mais de dire que la révision proposée à référendum ne va pas assez loin, et surtout qu’elle ignore superbement la question kurde, qui reste, selon tous les observateurs avertis, le premier problème qui se pose à la Turquie contemporaine.

Les sondages qui, au début de l’été, donnaient le « Oui » largement vainqueur, sont depuis une dizaine de jours beaucoup plus mitigés. Il semble donc que ce scrutin sera plus disputé qu’on ne l’avait initialement prévu. Mais le comportement des électeurs lors d’un référendum est en général beaucoup plus imprévisible que lors d’élections traditionnelles. Cette incertitude n’empêche pas néanmoins les principaux camps de déjà se projeter dans l’après 12 septembre. La presse gouvernementale, qui croît encore fermement en un succès confortable du « Oui », annonce que ce référendum va laminer les partis d’opposition et les organisations socio-professionnelles qui, comme la TÜSIAD (l’Association des industriels et hommes d’affaires turcs), n’ont pas voulu soutenir les réformes. Les partisans du « Non », qui pensent, pour leur part, que le résultat sera serré, prédisent au gouvernement, à l’issue du scrutin de dimanche, une situation tendue et difficile à gérer. Enfin, la mouvance politique kurde, qui estime que le boycott sera suivi par une majorité de ses électeurs, et peut-être même par des électeurs turcs, espère se retrouver en position de force après le référendum, pour mettre le gouvernement sous pression et le pousser à conduire les réformes qu’il hésite encore à engager, en particulier la transformation de la citoyenneté et l’adoption de vraies mesures de décentralisation.

En réalité, si le scrutin de dimanche voit le « Oui » l’emporter avec une réelle avance (53-54%), on pourra en déduire que la dynamique, qui a porté l’AKP au pouvoir en 2002 et qui l’y a reconduit en 2007, fonctionne encore, et que cette formation apparaît toujours, à une majorité des électeurs turcs, comme le vecteur nécessaire au changement qui s’est dessiné au cours des dernières années. En revanche, si ce référendum se traduit finalement par un résultat étroit positif ou négatif, on sera incliné à croire, non que les Turcs ont voulu sauver les institutions de 1982, mais que l’AKP ne leur apparaît plus comme la formation qui incarne par excellence le changement. En ce sens un résultat serré pourrait en réalité indiquer que la Turquie entre dans une nouvelle phase de mutations, celle où un retour au système politico-militaire établi par les coups d’Etat est définitivement impossible, et où le pays a le choix entre plusieurs options politiques capables d’incarner l’avenir.

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Sources

Article publié sur le site de l’OViPoT le samedi 11 septembre 2010 sous le titre « Turquie : les enjeux du référendum du 12 septembre »

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