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WikiLeaks : Le premier minitre turc Erdoğan jugé autoritaire et sans vision

mercredi 1er décembre 2010, par Nicolas Bourcier

Les diplomates américains mettent sérieusement en doute la fiabilité des dirigeants turcs. C’est le constat peu amène que révèlent les dizaines de milliers de télégrammes échangés, pour l’essentiel, entre le département d’État et son ambassade d’Ankara, depuis plus de trois décennies. Les documents les plus récents étant une somme de critiques cinglantes à l’égard du gouvernement de Recep Tayyip Erdoğan – contredisant pratiquement chacune des déclarations officielles des autorités américaines de ces dernières années.

L’homme qui dirige depuis 2003 le plus important pays musulman allié des États-Unis y est décrit comme un islamiste assoiffé de pouvoir, certes pragmatique mais sans vision. Ses ministres sont dépeints comme des individus souvent incapables, manquants de formation et parfois même corrompus. Ses conseillers comme obséquieux et dédaigneux.

Parmi les documents obtenus par WikiLeaks et révélés par Le Monde, un mémo du 30 décembre 2004 souligne le style très autoritaire de M. Erdoğan et sa profonde méfiance envers les autres. Un ancien conseiller turc aurait même dit de lui que « Tayyip Bey croit en Dieu… mais il ne lui fait pas confiance ». Cinq mois plus tard, un autre télégramme indique que le premier ministre n’a toujours pas su se forger une vision réaliste du monde, qu’il aime se présenter comme « le tribun populaire d’Anatolie » et qu’il est persuadé que Dieu l’a appelé pour diriger le pays.

Forts soupçons de corruption

Dès 2004, les mémos américains évoquent de forts soupçons de corruption à quasiment tous les niveaux du pouvoir. La famille du premier ministre est mentionnée, sans toutefois que la moindre preuve soit apportée. Les télégrammes font état des confidences d’un haut conseiller gouvernemental recueillies par une journaliste turque selon lesquelles Recep Tayyip Erdoğan se serait enrichi en privatisant une usine de raffinerie appartenant à l’État. En 2009, toujours selon les mémos américains, il aurait également fait pression pour qu’un de ses amis d’enfance, le patron d’une entreprise turque de construction portuaire, décroche un contrat avec l’Iran pour l’acheminement de produits gaziers.

Rappelant que l’AKP, le Parti de la justice et du développement, créé et dirigé par l’actuel premier ministre, avait lancé sa campagne en promettant d’éradiquer la corruption, plusieurs notes évoquent des rumeurs de nombreux conflits d’intérêts, autant au niveau national que local. L’une d’elles indique, en 2004 que « nous avons entendu de deux contacts que Erdoğan avait huit comptes dans des banques suisses ; ses justifications selon lesquelles sa fortune proviendrait de dons reçus lors du mariage de son fils et qu’un homme d’affaire turc paierait les frais de scolarité de ses quatre enfants aux États-Unis, sont peu crédibles. »

Nouvelles « ambitions néo-ottomanes »

Les télégrammes diplomatiques attestent également des divisions qui règnent au sein de l’AKP et du gouvernement. Dès les premiers mois de 2005, ils pointent la tension et la rivalité grandissante entre le président Abdullah Gül et Recep Tayyip Erdoğan.

Dans plusieurs mémos dévastateurs, certains ministres et proches conseillers du gouvernement auraient, selon les diplomates américains, une vision totalement étriquée de la politique, confinée à l’intérieur des frontières du pays. Ils citent la ministre Nimet Cubukçu - sa proximité avec Emine, la femme d’Erdoğan, lui aurait permis d’obtenir son siège au sein du gouvernement - mais surtout Ahmet Davutoğlu, chef de la diplomatie turque, évoqué dans quelque 539 mémos.

Ce manque de discernement de l’actuel ministre des affaires étrangères se traduirait par de nouvelles « ambitions néo-ottomanes », croient déceler les sources américaines. Un haut conseiller turc aurait même affirmé qu’Ahmet Davutoğlu exercerait une « influence islamiste » sur le premier ministre : « Il est exceptionnellement dangereux », aurait-il conclu.

Dans un autre mémo, un proche du gouvernement et ancien membre d’un think-tank de l’AKP aurait parodié, en 2004, l’ancrage européen du gouvernement en ces termes : « Nous voulons récupérer l’Andalousie et prendre la revanche de la défaite de 1683 devant Vienne.  »

« Erdoğan est un fondamentaliste »

En bref, résume un diplomate américain dans un télégramme datant du 20 janvier 2010, la Turquie aurait « les ambitions d’une Rolls-Royce, mais avec les moyens d’une Rover ». Une vision du monde jugée pour le moins risquée. Pour preuve, la sérieuse dégradation des relations avec Israël.

Les deux gouvernements s’étaient violemment opposé sur la guerre contre le Hamas (27 décembre 2008-17 janvier 2009) et l’arraisonnement par Israël de la flottille en route pour Gaza, le 31 mai 2010 à Gaza. La situation ne s’est pas améliorée depuis. Selon les mémos, les Américains semblent soutenir la thèse de l’ambassadeur israélien à Ankara, Gabby Levy. Celui-ci aurait affirmé, selon un télégramme du 27 octobre 2009, que « Erdoğan est un fondamentaliste et qu’il nous déteste pour des raisons religieuses ». Le document précise que « cette haine se répand » partout ailleurs dans le pays. Un dernier mémo datant de février 2010 met en garde : « Personne ne peut prédire où tout cela finira »…

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Sources

WikiLeaks : Erdogan jugé autoritaire et sans vision
Nicolas Bourcier - Le Monde.fr - le 30 novembre 2010

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