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« Le dentiste oriental », la première œuvre arménienne dans un théâtre turc

samedi 25 février 2012, par Anne Andlauer

À l’heure où la question du génocide mine à la fois les relations entre l’Arménie et la Turquie, et entre la Turquie et la France, des artistes turcs aident à briser les tabous de l’Histoire.

Le Théâtre municipal d’Istanbul présente cette saison et entre le 25 et 29 janvier Le dentiste oriental, pièce musicale de l’écrivain arménien ottoman Hagop Baronian. Écrite en 1869, c’est la première pièce arménienne à l’affiche d’un théâtre turc.

Istanbul, la ville où Hagop Baronian arrive plein d’espoirs à 20 ans, en 1863, et où il meurt sans argent ni reconnaissance à 48 ans, lui rend un hommage posthume de la plus simple façon qui soit : en portant l’une de ses pièces sur les planches d’un théâtre public. Simple et pourtant, cela n’était jamais arrivé, ni à Istanbul, ni ailleurs en Turquie.

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Extrait de l’affiche du pièce arménienne « Le dentiste oriental » (1869), de Hagop Baronian, actuellement au Théâtre municipal d’Istanbul.

De son vivant, le satiriste arménien subit la censure du pouvoir, de plus en plus oppressante à partir de 1880. Il meurt en 1891, avant les premiers massacres d’Arméniens dans l’Empire ottoman et avant le génocide de 1915. Ces épisodes sanglants sur une terre que Turcs et Arméniens avaient partagée pendant des siècles légueront aux oubliettes les œuvres de Baronian et celles de beaucoup d’autres.

« Il y a encore quelques années, cela aurait fait scandale »

Il a fallu que le hasard s’en mêle pour que Engin Alkan, metteur en scène au théâtre municipal d’Istanbul, découvre dans une revue l’existence de la pièce Le dentiste oriental. Il a surtout fallu que les tabous commencent à se fissurer en Turquie, que des artistes et des intellectuels commencent à remettre en cause l’Histoire officielle, qui n’a jamais reconnu le génocide de 1915.

Jouer la pièce d’un Arménien, qui plus est sur une scène publique ? « Même si nous l’avions voulu, nous n’aurions pas pu le faire il y a encore quelques années… Cela aurait certainement fait scandale », reconnaît Engin Alkan dans une interview au quotidien turc Hürriyet Daily News. Mais les temps changent, malgré ce que laisse paraître la colère du gouvernement turc après le vote au Parlement français cette semaine d’une loi pénalisant la négation du génocide arménien.


Succès de la saison au théâtre municipal d’Istanbul

Le colloque sur les Arméniens à l’Université Bilgi d’Istanbul en 2005, la pétition demandant « pardon » aux Arméniens de Turquie en 2008, qui a reçu près de 31 000 signatures, la première commémoration du 24 avril 1915 (date admise de début du génocide) à Istanbul en 2010 et d’innombrables articles de journaux, livres et débats télévisés prouvent que la société civile turque s’empare peu à peu du sujet. La présence du Dentiste oriental à l’affiche d’un théâtre stambouliote cette saison n’est que le dernier exemple.

L’œuvre elle-même porte sur des sujets autrement moins dramatiques. Hagop Baronian brosse de savoureux portraits de la communauté arménienne d’Istanbul dans la deuxième moitié du 19e siècle. Pendant trois heures, il n’est question que d’histoires d’amour et de tromperies, ponctuées de références aux débats politiques de l’époque.

Un orchestre survolté, des danses, des dialogues hilarants, des costumes et des maquillages grotesques… Le dentiste oriental est l’un des grands succès de cette saison au théâtre municipal d’Istanbul. « Les Arméniens sont aux fondements du théâtre turc… Nous devons revendiquer notre passé si nous voulons avancer », justifie la directrice artistique du théâtre, Ayşenil Şamlıoğlu. Un bel hommage, décidément, à l’œuvre de Hagop Baronian.


Le dentiste oriental (1869), de Hagop Baronian.
Prochaines représentations sur la scène H. Muhsin Ertuğrul du Théâtre municipal d’Istanbul du 25 au 29 janvier, puis du 29 février au 4 mars 2012.

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Sources

Article original publié le mercredi 25 janvier 2012 sur le site de RFI sous le titre :
« Le dentiste oriental », la première œuvre arménienne dans un théâtre turc

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