L’économie est l’un des axes forts de la campagne du Parti de la justice et du développement (AKP). Venu aux affaires dans le sillage de la crise économique de 2000-2001, le parti a su tirer le bénéfice des mesures de rigueur mises en place par l’économiste Kemal Dervis sous l’égide du FMI (Fonds monétaire international).
L’ouverture de l’économie turque, entamée dès les années 1980, et accélérée par l’union douanière (1996) avec l’Union européenne (UE), a été poursuivie. Les capacités d’exportation se sont développées - nouveaux produits, nouveaux marchés, notamment au Moyen-Orient, et la faiblesse des capitaux internes a été compensée par un afflux d’investissement, en provenance d’Europe à 80 %.
Les performances économiques de la Turquie impressionnent sur ces dix dernières années : classée 17e économie mondiale, la Turquie fait partie des grands émergents ; son produit intérieur brut (PIB) a triplé en trois ans, et elle affiche les plus belles perspectives de croissance de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Inflation maîtrisée après des décennies de cauchemar à deux chiffres, dépense publique raisonnable, les Turcs se vantent aujourd’hui de respecter les critères de Maastricht mieux qu’aucun Etat membre de l’Union européenne. Le pays a bien résisté à la crise, malgré une montée rapide du chômage, se payant le luxe, au plus fort de la tourmente mondiale, d’améliorer son classement chez les principales agences de notation.
Calculs diplomatiques
Cette économie florissante est un atout diplomatique. Elle permet de positionner la Turquie comme pôle de croissance régionale et renforce son image de « soft power ». L’horizon des acteurs économiques turc s’est élargi ces dernières années sur fond d’accords de libre-échange et de libre circulation avec des pays de la Méditerranée et du Moyen-Orient. La présence de 25 000 travailleurs turcs en Libye, révélée à la faveur des affrontements récents, témoigne de l’intensité des relations économiques avec certains pays amis. Cette croissance exceptionnelle ne vient cependant pas à bout de problèmes structurels.
La demande énergétique croît rapidement alors que le pays ne dispose d’aucune ressource, ce qui le contraint à des calculs diplomatiques complexes pour assurer ses approvisionnements - les priorités des relations avec la Russie, l’Azerbaïdjan, l’Iran, l’Irak, sont en grande partie dictées par les impératifs énergétiques.
Le déséquilibre chronique des paiements courants est systématiquement compensé par des entrées massives de capitaux extérieurs ; l’afflux récent de capitaux spéculatifs entretient aujourd’hui le risque financier, dans une ambiance de quasi-bulle spéculative.
La Turquie n’est donc pas à l’abri d’une nouvelle crise, d’autant que son modèle de développement bute fondamentalement sur des obstacles internes : qualité et productivité insuffisantes de la main-d’œuvre, incapacité à monter en gamme dans des filières industrielles aujourd’hui très exposées à la concurrence mondiale (automobile, textile).
En outre, la croissance s’accompagne d’une montée des inégalités, qu’elles soient d’ordre social ou territorial. L’émergence d’une classe moyenne issue du terreau des petits entrepreneurs anatoliens (les fameux « tigres ») a balisé le terrain politique pour l’AKP. Les écarts de richesse se creusent, le chômage est important et la question sociale, jusqu’ici objet de peu d’attention, pourrait revenir de façon violente sur le devant de la scène.
Le virage social-démocrate du programme du CHP traduit bien cette préoccupation. De même, le retard chronique du développement des zones kurdes est un des ressorts de la contestation politique dans le sud-est du pays.