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Turquie : révision constitutionnelle modeste et enjeux majeurs.

jeudi 4 mars 2010, par Jean Marcou

Recep Tayyip Erdoğan (photo) a annoncé dimanche qu’une réforme constitutionnelle serait finalement proposée au Parlement, à la fin du mois de mars prochain. Depuis le début de la législature, le gouvernement réaffirme périodiquement la nécessité d’amender la Constitution de 1982 enfantée par le coup d’Etat militaire de 1980, dont la version initiale a été remaniée une quinzaine de fois, en particulier en 2001 et en 2004 pour permettre à la Turquie de pouvoir ouvrir des négociations avec l’UE.

En septembre 2007, après les blocages constitutionnels provoqués par les élections présidentielles et sa large victoire aux élections législatives anticipées, l’AKP avait promis l’adoption rapide d’une nouvelle constitution, baptisée « Constitution civile ». Las ! Héritage de la crise antérieure que nous venons d’évoquer, une révision modifiant entre autres la durée des mandats parlementaire et présidentiel tout en prévoyant l’élection du président de la République au suffrage universel, a été adoptée par référendum, le 21 octobre 2007. Et, au premier semestre 2008, une nouvelle révision a été tentée pour lever l’interdiction du port du foulard islamique dans les universités. Cette réforme, ayant été annulée par la Cour constitutionnelle, le gouvernement est devenu de plus en plus modeste dans ses projets de révision constitutionnelle. Depuis un an environ, il n’évoque plus de réforme globale, et l’idée de « Constitution civile » semble donc être reportée à des échéances beaucoup plus lointaines.

Au cours de la campagne pour les élections locales, au début de l’année 2009, le premier ministre a évoqué deux lois constitutionnelles ciblées sur les problèmes considérés, par lui, comme les plus urgents : réforme de la Cour constitutionnelle, statut des partis politiques, statut du pouvoir judiciaire… Cette stratégie a minima a fait dire au président Gül récemment que, depuis 2007, on avait manqué une occasion historique de doter la Turquie d’un nouveau texte fondamental. Recep Tayyip Erdoğan vient de confirmer la prudence des démarches en cours, en annonçant une révision constitutionnelle qui pour l’essentiel doit modifier le statut du pouvoir judiciaire (et en particulier revoir les compétences et le mode de nomination du HYSK - Hakimler ve Savcılar Yüksek Kurulu – Conseil des juges et des procureurs- équivalent du Conseil supérieur de la magistrature en France), aligner le statut des partis politiques sur des standards européens de droits et de libertés (application des critères de la commission de Venise), créer un médiateur pour arbitrer les conflits entre l’administration et les citoyens (une réforme bloquée par l’ancien président de la République, Ahmet Necdet Sezer).

Pourtant, dans le contexte actuel, cette révision constitutionnelle modeste touche des enjeux majeurs. En effet, le gouvernement est en conflit permanent, depuis l’été dernier, avec le HYSK, qui, pour sa part, n’a pas hésité à intervenir dans plusieurs affaires importantes où l’establishment politico-militaire était en difficulté. Ainsi, dans l’affaire d’Erzincan, le HYSK a pris la défense d’un procureur arrêté par des procureurs à compétences élargies enquêtant dans le cadre de l’affaire Ergenekon et de celle du « plan d’action contre la réaction ». Quant aux mesures touchant les partis politiques, elles viseraient surtout à rendre plus difficile leur dissolution. On sait que l’AKP a failli être dissous en 2008, et qu’à la fin de l’année 2009 son ouverture démocratique en direction des Kurdes a été gênée par la dissolution du DTP. On évoque de façon récurrente actuellement le lancement possible d’une nouvelle procédure de ce genre contre le parti au pouvoir par le procureur Abdurahman Yalçındağ, qui a été à l’origine des deux épisodes précédemment cités.

Reste à savoir si le gouvernement pourra faire adopter même cette révision à minima par une Assemblée nationale où il doit obtenir une majorité des deux tiers. Car, en dehors de l’AKP, toutes les forces politiques qui sont représentées dans l’hémicycle, ont déjà décliné leur soutien à un tel projet. L’hostilité du CHP n’est pas pour surprendre, car il a systématiquement combattu toutes les réformes proposées par le parti au pouvoir depuis 2007, esquissant seulement un geste sur l’ouverture démocratique, en octobre dernier, avant de se rétracter rapidement. Pour leur part, le MHP et les Kurdes (de l’ex-DTP devenu aujourd’hui BDP), qui n’ont pas boycotté l’élection présidentielle en août 2007, permettant ainsi l’élection d’Abdullah Gül, ont parfois apporté leur soutien à des initiatives gouvernementales. Le MHP, il y a un mois avait même paru en passe de soutenir la première mouture du projet de révision constitutionnelle lancée par le gouvernement. Il vient de faire savoir qu’il n’appuierait pas l’initiative constitutionnelle annoncée par Recep Tayyip Erdoğan le 28 février, tandis que les Kurdes du BDP soumettaient leur soutien éventuel, à la révision gouvernementale, à la suppression de la barre des 10% qui existe dans le système électoral actuel et qui les empêche d’avoir une représentation plus importante au parlement.

Face à ce blocage parlementaire annoncé, le gouvernement aura certes encore la possibilité de recourir au référendum. Mais dans le contexte tendu des derniers mois, le résultat d’une telle consultation est loin d’être assurée…

JM

Article original de l’Ovipot

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Sources

Source : Ovipot, le 03.03.10

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