Un jeune instituteur turc est envoyé pour sa première année d’enseignant dans l’Est du pays, dans un petit village perdu où ne vivent que des Kurdes. De la rentrée de septembre jusqu’au départ pour les vacances d’été, le jeune Emre est confronté à un dépaysement total dans un environnement linguistique kurde, avec des enfants qui ne connaissent encore que leur langue maternelle. Les débuts sont difficiles : à peine installé dans un logis qui n’a pas l’eau courante, il doit faire le tour des maisons pour se mettre à la recherche des écoliers, pas pressés d’en reprendre le chemin.
Ohran Eskiköy et Özgür Dogan nous offrent un documentaire très vivant et laissent avec ce film la trace d’une expérience bouleversante. Beaucoup de jeunes instituteurs sont malheureusement envoyés dans des régions pauvres et des hameaux isolés sans aucune formation préalable. La première partie du film surtout vue par les yeux de Emre nous livre non sans humour l’isolement vécu par le personnage principal et sa bataille quotidienne auprès des enfants pour leur enseigner quelques mots de turc, leur apprendre à tenir un stylo et former des lettres. Les enfants ne se reconnaissent pas lorsque commence l’appel, tel ce petit Zülküf adorable qui ignore les mots alors même que l’instituteur crie 10 fois de suite son prénom, puisque les siens prononcent « Zilkif » depuis toujours et qu’il n’associe pas les deux.
Par le biais du portable, Emre se confie à sa mère à qui il explique le choc culturel au fil du temps et des saisons, les aménagements qu’il est obligé de faire dans son enseignement (leur apprendre à lire et à écrire pour la première année sera largement suffisant, oubliés l’histoire et les mathématiques qui viendront après le BA Ba de la langue).
Pourtant, petit à petit, chacun apprend à s’apprivoiser et malgré la solitude d’Emre, des liens se tissent et le travail avance. Dans la seconde partie, les enfants prennent le relais d’Emre comme fils conducteurs et des scènes de la vie quotidienne et scolaire ponctuent joliment le film. Comment ne pas sourire en entendant les enfants ânonner les paroles d’Atatürk sans vraiment les comprendre, avec leurs petits tabliers bleus et leurs cols blancs, dans un endroit désert au décor presque inamical ?
L’instituteur turc parait alors comme les colons français d’antan, déplacé, garant d’une mission qu’on lui dit civilisatrice mais quelque peu déconnectée.
Une fois qu’il est reparti chez lui, que c’est le début de l’été, les enfants se remettent à jouer, quittent leurs vêtements et plongent dans une petite mare bucolique, comme si rien ne s’était passé.