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Turquie : Ouverture de la campagne pour les élections législatives

mardi 10 mai 2011, par Jean Marcou

Elections législatives en Turquie Les prochaines élections législatives auront lieu le 12 juin prochain, en Turquie. Si elles se tiennent 4 ans après les élections anticipées du 22 juillet 2007, qui avaient vu une confortable reconduite au pouvoir de l’AKP, c’est parce que le mandat parlementaire a été réduit depuis, de 5 à 4 ans, par la révision constitutionnelle adoptée par référendum, en octobre 2007.

En Turquie, les élections législatives se déroulent à la proportionnelle de liste avec application du système d’Hondt. Ces listes sont présentées dans le cadre des provinces, des candidatures indépendantes pouvant aussi être prises en compte, le cas échéant. Ce système est à la base comparable au système électoral en vigueur en Espagne ou au Portugal, mais avec une différence de taille qui réside dans l’existence d’un seuil électoral de 10% au niveau national, condition pour obtenir une représentation parlementaire. Ce qui veut dire, concrètement, que même si les listes d’un parti obtiennent des scores lui permettant d’avoir des députés dans une province, ce parti ne pourra finalement être représenté au parlement que s’il obtient plus de 10% des voix au niveau national. Ce type de seuil, qui vise à éviter la dispersion des sièges, existe actuellement en Allemagne (où l’on vote à la proportionnelle sur des listes régionales), mais il ne dépasse pas 5%. L’existence d’un seuil aussi élevé est fortement critiquée en Turquie, comme dans l’enceinte d’un certain nombre de forums internationaux (Conseil de l’Europe, notamment). Mais finalement le gouvernement de l’AKP ne l’a pas supprimé, en refusant d’adjoindre une telle réforme à la récente révision constitutionnelle, adoptée par référendum en septembre dernier. Il faut dire que les grosses formations politiques, comme l’AKP, récupèrent les sièges que les formations moyennes, qui n’ont pas franchi le seuil fatidique, auraient du obtenir… L’un des principaux effets du maintien de ce seuil fatidique est également de gêner l’accès de députés kurdes à la Grande Assemblée Nationale.

Quoiqu’il en soit, la date limite des dépôts de candidatures avait été fixée au 11 avril 2011 (17 heures), cette formalité devant être accomplie auprès du YSK (Yüksek Seçim Kurulu – Conseil supérieur des élections). L’AKP et le premier ministre Recep Tayyip Erdoğan ont travaillé jusqu’au moment ultime pour peaufiner leurs listes. Le leader du parti majoritaire sera notamment tête de liste à Istanbul. Plus généralement, si tous les autres ministres seront présents, la moitié des députés sortants du parti au pouvoir ont été remerciés, et devront céder la place à de nouveaux venus. L’AKP a, comme il est d’usage, réalisé quelques prises de choix, dans la société civile, pour donner un peu plus de relief à ses listes. Ainsi, il pourra compter, parmi ses candidats, le célèbre footballeur Hakan Şükür et le transfuge Ahmet Türkeş (fils du général Türkeş, leader emblématique de la droite nationaliste et fondateur du MHP). En revanche, la formation majoritaire n’a pas osé représenter Aliye Selma Kavaf, l’actuelle ministre de la famille, qui avait parlé de l’homosexualité comme « d’une maladie », l’année passée.

Pour sa part, le CHP de Kemal Kılıçdaroğlu a lui aussi procédé à un sérieux renouvellement de son personnel politique, en éliminant la vieille garde du parti et, selon l’Institut de sondages A&G, il semble que cela devrait lui permettre de recueillir des voix dans des secteurs de la société turque autres que ses traditionnelles zones d’influence (les élites et les citadins).

Quant aux Kurdes du BDP, ils présenteront 64 candidats indépendants dont Leyla Zana, Ahmet Türk, Aysel Tuğluk et 6 militants du KCK faisant l’objet de poursuites judiciaires. Toutefois, on sait que cette feuille de route électorale n’est pas allée sans mal. Quelques jours après le dépôt des candidatures, le YSK a, en effet, invalidé 7 candidats Kurdes, ce qui a provoqué de violentes manifestations à Istanbul et dans le sud-est. Cet incident, moins que le résultat d’une volonté délibérée du gouvernement, a été la conséquence du comportement rigide d’une institution qui fait partie de la hiérarchie judiciaire et qui, une fois de plus, a créé une situation explosive, en faisant une lecture du droit en décalage total avec le contexte dans lequel il est supposé s’appliquer. Le rétropédalage du YSK qui, quelques jours plus tard, a finalement consenti à valider la plupart des candidatures bloquées, a ramené un peu de sérénité dans ce début de campagne électorale. Mais la crise ouverte par le YSK pourrait se raviver à la première occasion, tant la situation politique et sociale est tendue dans le sud-est.

Ouverture contrastée au CHP

Pour le reste, le nouveau parlement devrait être plus féminin. 42 des 78 candidates de l’AKP et 38 des 109 candidates du CHP, ont de fortes chances d’être élues. Mais il pourrait aussi (sous réserve que cela se révèle possible juridiquement) compter dans ses rangs un certain nombre de suspects des affaires de complot. En effet, le CHP présente le journaliste Mustafa Balbay, et l’universitaire Mehmet Haberal, tous deux arrêtés dans le cadre de l’affaire « Ergenekon », ainsi que le procureur Ilhan Cihaner, figure de proue de la fameuse affaire du complot islamiste d’Erzincan. Le MHP s’est assuré, quant à lui, les services du général Engin Alan (arrêté dans le cadre de l’affaire « Balyoz »), qui fut à l’origine de la capture du leader du PKK, Abdullah Öcalan, en 1999. Le général Çetin Doğan (arrêté dans le cadre de l’affaire « Balyoz »), l’ancien chef de la police d’Eskişehir, Hanefi Avcı (arrêté depuis la publication de son livre « Haliç’te Yaşayan Simonlar ») et le journaliste Tuncay Ozkan, ont eux décidé, de se présenter, en qualité de candidats indépendants. Toutefois, le fait que certains des suspects candidats soient connus pour leurs opinions nationalistes (comme l’universitaire Mehmet Haberal) a provoqué des remous et des polémiques au sein du CHP, ce qui pourrait faire perdre des voix à gauche au parti kémaliste.

Le 22 avril dernier, les deux principaux leaders sont entrés en campagne. Recep Tayyip Erdoğan a prononcé un long discours à Bayburt (nord-est de la Turquie), en insistant sur son programme économique. Il a promis que pour son centenaire, la République la Turquie atteindrait un PIB de 25000$ par tête (le double d’aujourd’hui) et qu’elle deviendrait l’une des 10 premières économies mondiales. Il a aussi rappelé que la politique étrangère de la Turquie avait changé et que la voix de ce pays était désormais entendue dans le monde. « Les problèmes de Bayburt sont nos problèmes, comme ceux de Kaboul, du Darfour, de Bagdad, de Benghazi, de Sarajevo, de Gaza ou de Jérusalem. Si nous ignorons Gaza, nous serons honteux à Bayburt. », a déclaré, en particulier, le chef du gouvernement.

Pour sa part, Kemal Kılıçdaroğlu a annoncé, dans son premier discours de campagne, que la priorité de son parti était l’élaboration d’une nouvelle Constitution, garantissant les droits de l’Homme. Il a fait d’importantes promesses aux Kurdes : notamment la possibilité d’avoir une éducation initiale dans leur langue maternelle, la transformation de la prison de Diyarbakır en musée, l’abaissement du seuil électoral de 10% à 5%, l’ouverture des archives concernant les massacres de Dersim en 1938. Il a promis aussi une réforme de décentralisation, une relance du développement local, et déclaré qu’il souhaitait un abaissement de la durée du service militaire de 12 à 9 mois pour arriver à une durée finale de 6 mois. Enfin, le leader du CHP a annoncé la suppression du YÖK et la mise en place d’un régime d’autonomie des universités. Le sujet est bien sûr particulièrement sensible après le scandale qui vient d’affecter le dernier concours d’entrée aux universités…

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Sources

- Article original publié sur le site de l’OViPoT le 27 avril 2011sous le titre : Ouverture de la campagne pour les prochaines élections législatives du 12 juin 2011.

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