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Turquie : valse avec les « maîtres de Schengen »

mardi 21 juin 2011, par Mustafa Akyol

On discute beaucoup ces derniers temps sur le fait la Turquie porte de plus en plus son regard vers l’est. L’orientation occidentale du pays, réelle ou perçue comme telle, est en train de basculer vers une autre direction incluant l’effrayant Moyen-Orient. Certains accusent le parti de l’AKP en exercice et son islamisme caché de cette évolution alors que d’autres pointent du doigt les changements tectoniques dans l’économie politique mondiale auxquels la Turquie ne fait que s’adapter.

J’ai également mon humble avis sur ce débat. Pour l’illustrer laissez-moi-vous conter une histoire personnelle.

Une histoire sur Schengen

Tout a commencé il y a quelques semaines lorsqu’un think thank européen m’invita à participer à une discussion sur la Turquie et l’Islam à Vienne. Les hôtes étaient forts sympathiques, le sujet intéressant et la capitale autrichienne, très attractive comme d’habitude. J’acceptai donc avec joie l’invitation et la notai dans mon agenda.
Très vite, je m’aperçus d’un petit problème : mon visa Schengen – ce petit bout de papier coloré dont les personnes du tiers monde ont besoin pour mettre le pied en Europe – avait expiré. J’avais besoin d’un nouveau visa, tout simplement.

Cependant obtenir ce petit morceau de papier n’est pas une mince affaire. Vous devez tout d’abord rassembler plusieurs documents prouvant que vous avez un emploi en Turquie ; et un compte bancaire avec une certaine somme d’argent. C’est encore mieux si vous pouvez prouver que vous possédez une voiture ou une maison. Vous devez prouver, en d’autres termes, que vous n’êtes pas désespéré au point de vouloir entrer en Europe pour y résider illégalement des années durant, et y faire la plonge dans une brasserie allemande ou un bar à tapas espagnol, par exemple.

Toute cette pénible paperasserie n’est que la première étape. Pour la seconde étape, vous devez vous rendre dans une compagnie d’assurance et souscrire une assurance vous couvrant pour toute la durée de votre séjour prévu en Europe. L’idée, c’est qu’au cas où vous perdiez une jambe ou ayez une attaque cardiaque pendant votre séjour, vous n’exploitiez pas le système de santé de ces pays super-civilisés qui vous ont si aimablement permis de franchir leurs frontières.

Avec tout ca, vous n’êtes pas au bout de vos peines. Concrètement, vous devez prendre tous vos documents sur vous et vous rendre au consulat européen le plus proche, pour y remplir un long formulaire et remettre aux fonctionnaires tous vos documents, accompagnés d’une photo d’identité récente, et d’un peu d’argent. Lorsque vous arrivez au consulat, vous devez bien souvent faire la queue dans une longue file d’attente en face d’un bâtiment bien gardé. Lorsque vous entrez, un diplomate, souvent peu aimable et assis derrière une épaisse vitre, vous questionne et parfois vous blâme de ne pas avoir l’ensemble des documents requis.

Montrer patte blanche aux « maîtres de Schengen »

Ensuite, vous devez revenir dans le même bâtiment quelques jours plus tard pour récupérer votre passeport et savoir si les maîtres de Schengen sont assez gentils pour vous recevoir.

Alors, comme vous pouvez vous l’imaginer, je déteste cette procédure de tout mon cœur et de ton mon être ! Mais je peux comprendre que les pays aient besoin de ces examens avant d’autoriser les personnes à entrer sur le territoire. Ce que je ne comprends pas et que je trouve simplement insupportable, c’ est la durée de validité des visas Schengen : en moyenne, ils sont de quelques semaines. Si vous avez de la chance, vous pouvez en obtenir un de 6 mois.

Mon expérience la plus marquante fut avec les Danois : il y plusieurs années, je fus invité à participer à une conférence à Copenhague pour une durée de séjour de 3 jours. Après avoir minutieusement examiné mon dossier, le tout-généreux Royaume du Danemark me donna un visa qui était sensiblement plus long que ce dont j’avais besoin : un visa de 4 jours. Un total de 98 heures.

À une occasion plus heureuse, où j’ « avais des contacts », j’ai fait une demande de visa « long séjour » avec entrées multiples, auprès des autorités espagnoles. Ils m’ont effectivement accordé ce visa à entrées multiples mais avec une validé d’un mois seulement. J’aurais dû aller et venir toutes les autres semaines pour bien en profiter.

Honnêtement après tout cela, je ne me sens pas le bienvenu en tant que Turc en Europe. De l’autre côté, je me sens plus désiré à Amman, Beyrouth ou Doubaï où je peux voyager sans aucun visa, éviter toutes ces contrariétés et où je ne suis pas traité comme un potentiel parasite ou terroriste. J’espère alors que ces prochains jours, je recevrai des invitations de ces pays là plutôt que de pays européens.

Amis européens, vous pouvez vraiment faire mieux !

Maintenant, je veux faire un humble appel à tous les diplomates, politiciens et chefs d’états européens qui ont à voir avec le régime Schengen : vous représentez une belle civilisation, et vous pouvez faire bien mieux que cela. Une simple visite de votre pays ne devrait pas commencer par une procédure humiliante. Si vous partez du principe que quelqu’un remplit les critères pour obtenir un visa, vous pourriez lui en accorder un à long terme et le soulager ainsi d’un lourd fardeau.

Pourquoi ne prenez-vous donc pas exemple sur les Américains ? Ils sont simplement raisonnables en la matière. Ils examinent les dossiers aussi minutieusement que vous pour accorder un visa à la différence près qu’une fois qu’ils ont décidé que vous êtes o.k., ils vous en accordent un long. J’ai un visa américain de 10 ans sur mon passeport qui reste à part comme une lumière sainte parmi une douzaine de visas Schengen expirés et contraignants.

Il doit certainement y avoir une politique communautaire secrète pour décourager le tourisme ou créer des emplois dans les consulats européens en augmentant la bureaucratie : le système Schengen doit être radicalement réformé. Surtout, dites-nous si nous pouvons faire quelque chose pour vous. Si vous avez besoin de plus de taxes de notre part, faites-nous volontiers payer. Les Britanniques le font lorsqu’ils accordent des visas long séjour qui nous coûtent les yeux de la tête mais préservent notre santé mentale. Faites comme il vous plaira. Mais de grâce, ne nous imposez pas plus longtemps ce régime de visa impossible, inefficace, irrationnel et inhumain.

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Sources

Source : TdZ, le 27/05/2011

- Traduction pour TE : Sevil Budak

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