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Turquie : la voie vers l’UE passe par l’Orient

mercredi 11 février 2009, par Sinan Ülgen

Il y a encore quelques années, l’Europe figurait au premier plan dans l’agenda de la Turquie. Le gouvernement fraîchement élu de Recep Tayyip Erdogan s’était embarqué dans une série de réformes ambitieuses visant à satisfaire aux critères politiques d’adhésion à l’Union européenne. Fin 2004, l’EU décida d’entamer les négociations d’adhésion.

L’euphorie proeuropéenne n’a pas fait long feu : dans la pratique, les négociations sont aujourd’hui dans une impasse. L’euro-scepticisme est à son apogée en Turquie, alimenté par le discours de certains dirigeants politiques européens opposés à son adhésion, et par le propre échec de l’UE à balayer les doutes quant à la faisabilité de l’éventuelle adhésion de la Turquie. Le soutien national à l’adhésion européenne, de 70 % au début des négociations, tourne aujourd’hui plutôt autour de 40 %.

Rien de surprenant à ce que le gouvernement turc ait aussi perdu son enthousiasme pour les réformes liées à l’UE. Depuis plus de deux ans, la Commission européenne trouve peu de commentaires positifs à faire dans son rapport annuel sur la réforme politique.

Cependant, alors que l’Europe semble s’éloigner, le Moyen-orient se rapproche à mesure que la Turquie détourne son attention de Bruxelles pour la diriger vers Beyrouth et au-delà. Les frustrations de devoir traiter avec une Europe indécise ont incité les décideurs turcs à concentrer leurs efforts dans un domaine où le retour sur investissement attendu est plus immédiat et plus concret. En fait, alors qu’Erdogan a récemment rendu visite à de nombreux pays du Moyen-orient – la Syrie, le Liban, l’Égypte, l’Algérie, la Jordanie, l’Arabie Saoudite, l’Iran et l’Irak – il n’est pas retourné à Bruxelles depuis 2005.

La Turquie joue traditionnellement un rôle de spectateur dans la politique du Moyen-orient. Ses dirigeants estimaient qu’ils avaient peu à donner ou à gagner à s’impliquer dans les problèmes de la région, et que l’héritage ottoman de la Turquie laisserait ses voisins arabes sceptiques.

Mais les développements de ces dernières années ont permis à la Turquie de s’investir plus activement dans la région et de connaître plusieurs succès diplomatiques. La Turquie a joué un rôle dans la fin du conflit factieux au Liban, et ses ouvertures à la Syrie – entreprises malgré les avertissements des États-Unis – ont été superbement payantes. La Turquie a non seulement été capable de désamorcer les tensions internationales autour de son voisin arabe, mais aussi d’initier des pourparlers directs entre la Syrie et Israël.

Cet activisme est encore plus prononcé vis-à-vis de l’Iran, où les dirigeants turcs ont multiplié les efforts diplomatiques ces derniers mois pour aider à résoudre l’impasse nucléaire avec l’Occident. La Turquie, plus effrayée par les répercussions régionales d’un Iran nucléaire que par toute menace directe que cela impliquerait, a été jusqu’à recevoir le président iranien Mahmoud Ahmadinejad en août dernier.

La capacité de la Turquie à faire son chemin au Moyen-orient reflète l’érosion de la légitimité des États-Unis et le manque d’influence de l’UE. Les États-Unis ne parviennent plus à jouer un rôle plus constructif dans la région depuis leur malheureuse intervention en Irak, et le “programme de liberté” néo-conservateur de l’administration Bush pour le monde arabe s’est aussi retourné contre elle. Tandis que les États-Unis se sont d’abord tenus à distance des dirigeants arabes plus autocratiques en essayant de soutenir des alternatives démocratiques nationales, lorsque la seule option réaliste s’est avérée être l’islam politique, l’Amérique est vite revenue à sa traditionnelle politique de défense du status quo .

À l’inverse des États-Unis, les difficultés de l’UE ne viennent pas de la perception d’un manque de légitimité ni de tentatives grossières de promouvoir la démocratie, mais d’un réel manque d’unité et, par voie de conséquence, d’influence. L’absence d’un dénominateur commun parmi les positions des gouvernements européens n’a pas conduit à l’émergence d’une diplomatie pertinente et fiable, nécessaire pour résoudre les problèmes profondément enracinés du Moyen-orient.

Dans ces circonstances, la Turquie a su utiliser à la fois ses liens régionaux et sa position dans la communauté transatlantique pour jouer un rôle plus instrumental vis-à-vis de ses voisins du sud.

Deux autres facteurs accentuent le potentiel d’influence régionale de la Turquie. Tout d’abord, l’émergence d’une classe politique arabe plus influencée par la religion que par le nationalisme laïque a érodé la principale barrière structurelle à l’engagement turc. L’héritage ottoman d’une structure d’État qui fonctionne tout en étant tolérante vis-à-vis de la religion commence à être considéré de façon plus favorable, et le modèle turc contemporain, avec sa capacité à nourrir un islam acceptant la démocratie, est subitement très demandé.

Deuxièmement, la Turquie est plus prête que jamais à tirer parti de ces changements fondamentaux. L’AKP d’Erdogan, au pouvoir, trouve ses racines dans l’islam politique, et bon nombre des réseaux sociaux de ses dirigeants évoluent dans des pays islamiques – contrairement au style laïque des anciens dirigeants turcs qui tiraient fierté de leur identité occidentale. Par conséquent, les liens formels et informels entre la nouvelle élite politique turque et le monde arabe ont été plus faciles à nouer.

Il ne fait aucun doute que l’activisme croissant en termes de politique étrangère, surtout en relation avec le Moyen-orient, contribue à accentuer le rôle et l’influence de la Turquie dans sa propre région. En effet, le pays est désormais fermement décidé à devenir une puissance régionale, et son élection récente au Conseil de sécurité de l’Onu est un nouveau témoin de ces prouesses diplomatiques.

Le virement de la Turquie vers le sud et vers un statut de puissance régionale se fait-il aux dépens des ambitions européennes du pays ?

Pour les optimistes, l’influence régionale croissante de la Turquie ne fait qu’en augmenter la valeur aux yeux de l’UE. Mais ce point de vue implique que l’Europe veut et peut bénéficier de ce que la Turquie a à offrir. En d’autres termes, cette stratégie n’est compatible avec l’adhésion à l’UE que si l’UE consolide sa propre capacité à agir de façon concertée dans le domaine de la politique étrangère. Dans ce cas, l’adhésion de la Turquie ne déboucherait pas, contrairement à ce qu’avancent les fédéralistes européens, sur un affaiblissement de l’Europe. À l’opposé, elle permettrait à l’Europe de devenir une puissance plus influente et plus capable.

* Sinan Ülgen dirige le Centre d’études économiques et de politique étrangère (EDAM) d’Istanbul. Ce commentaire se base sur un article qui sera publié dans l’édition d’Europe’s World du printemps 2009, et a été préparé pour coïncider avec un débat tenu le 19 janvier à Bruxelles sur “l’avenir européen de la Turquie” organisé par Friends of Europe, Europe’s World et la Security & Defence Agenda (SDA), auquel a participé le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan. Copyright : Project Syndicate/Europe’s World, 2009.

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Sources

Source : L’AGEFI (Suisse), 26 janvier 2009

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