- Zerrin Egeliler, célèbre actrice qui battit tous les records en jouant dans 58 films en deux ans (1978 et 1979)
Le magazine turc Tempo, dans son édition du mois de janvier, vient de faire une révélation fracassante : un film pornographique a été tourné dans le campus de l’Université Bilgi comme projet de fins d’études. L’administration de l’établissement a licencié les trois professeurs qui ont supervisé ce travail sulfureux. Dans les médias, la bataille est à couteaux tirés entre les défenseurs de la « liberté académique » et ceux de la morale publique. Ils semblent cependant oublier qu’il n’y a pas si longtemps, la Turquie était la Mecque de l’industrie érotique.
Cela s’est passé durant Yeşilçam, l’âge d’or du cinéma turc qui a duré des années 60 au début des années 80. Pendant cette période, la Turquie produisait jusqu’à 300 longs-métrages chaque année, principalement des comédies romantiques réalisées à la chaîne ou des remakes d’Hollywood faits avec trois bouts de ficelles tel que 3 Dev Adam ou 3 Géants.Vendu comme “le seul film où Spiderman est un méchant”, celui-ci y combat Captain America et Santos, un lutteur masqué mexicain. Lors du festival Paris Cinéma de 2009, une nuit a été consacrée aux Super-Héros turcs, genre très florissant à l’époque. Bien sûr, le « Saint-Graal absolu » du site nanarland.com figurait au programme : Dünyayı Kurtaran Adam ou L’Homme qui a sauvé le Monde, alias Turkish Star Wars.
Au début des années 70, cette industrie prospère fut confrontée à la création de la chaîne de télévision publique TRT. Les salles de cinéma subissaient la concurrence du petit écran. Il fallait trouver une idée pour ramener le public, principalement des hommes, dans les salles obscures. C’est ainsi qu’émergea le tsunami du Yeşilçam porno ou Seks Furyası, la lame de fond ayant déferlé sur la Turquie en 1979 : 131 des 193 films produits étaient érotiques. C’est aussi cette année-là que fut produit le premier long-métrage turc vraiment pornographique.
Même les réalisateurs et les acteurs célèbres du cinéma traditionnel emboîtèrent le pas, les amourettes ou les combats virils ne faisant plus autant recette. Cela donna un petit côté « expérimental » à certaines productions. C’est la cas d’une étonnante séquence très sensuelle du film Taksi Şoförü ou Le Chauffeur de taxi mêlant des images d’une voiture en train de déraper avec des gros plans d’un couple en pleine action. Le film sort en 1976 et six ans plus tard, son réalisateur Şerif Gören reçoit, avec Yılmaz Güney, la Palme d’Or du festival de Cannes pour le sublime Yol ou La Permission.
Playboys gominés et pin-up à la turque
Mais les débuts de l’érotisme dans le cinéma turc remontent en réalité aux années 50 et 60 durant lesquelles des scènes suggestives mettaient en avant les atours des pin-ups turques, les « Vampes », telles Leyla Sayar, Suzan Avcı ou Neriman Köksal. La presse magazine, peu avare en photos aguicheuses, les a rapidement transformées en fantasmes masculins de prédilection. Ce phénomène a explosé durant la période Yeşilçam qui a aussi vu l’émergence d’une génération de playboys gominés. Ces derniers ont été surnommés les jön, se prononçant exactement comme le mot français “jeune”. Parmi les plus célèbres : Tarık Akan, İzzet Günay, Salih Güney, Göksel Arsoy, l’Alain Delon turc Cüneyt Arkın et Kadir Inanır. Tous ont joué dans des films très variés, dont ceux du registre érotique.
- Vous aimez la banane ?
Les films érotiques ressemblaient beaucoup aux autres productions Yeşilçam si ce n’est les longues séquences chaudes insérées dans la trame du film, qui pouvaient être coupées à la demande du distributeur. L’histoire principale suit souvent les codes des genres populaires de l’époque : la comédie, la romance, l’aventure, le policier et même le western. Tous les bons ingrédients de Yeşilçam sont aussi au rendez-vous : un budget modique, une bande-son iconoclaste, des intrigues absurdes, des jeunes machos ou des papas ridicules (dans cette veine comique, le célèbre Aydemir Akbaş), des jolies filles, combinés à une productivité du tonnerre et un star-system digne d’Hollywood.
En comparaison avec le porno mécanique de nos jours, les films de Yeşilçam sont bien plus réalistes dans leur description des rapports sexuels et dénotent une créativité jouissive. Il suffit de traduire quelques titres pour s’en rendre compte : Biyonik Ali futbolcu ou Ali le footballeur bionique (1978), Muz sever misin ? ou Aimes-tu la banane ? (1975), Bekaret Kemeri – Sevişme Tekniği ou Ceinture de Chasteté – Techniques pour faire l’amour (1975), ou encore Karpuzcu, Le vendeur de pastèques (1979). Sans surprise, de nombreux films font la part belle aux enlèvements, viols, agressions et autres amabilités envers la gent féminine, reflétant une certaine banalisation de la violence contre les femmes qui se retrouve dans de nombreuses productions cinéma ou TV contemporaines. Mais il existe d’autres films qui ridiculisent ouvertement la domination masculine (Sekreter, La Secrétaire, voir ci-dessous) ou donnent à des femmes fortes et indépendantes le rôle principal comme Metres ou La Maîtresse. Les films du réalisateur Atıf Yılmaz mettent aussi en avant des personnages féminins qui réalisent leurs désirs. Il fut d’ailleurs le premier à montrer une scène lesbienne dans un film turc en 1963 dans İki Gemi Yanyana ou Deux Bateaux Côte-à-côte. Dans la plupart des productions érotiques de l’époque, lorsque les relations sexuelles sont mutuellement consenties, le plaisir féminin n’est pas mis de côté, bien au contraire, à en croire l’obsession des personnages masculins pour le cunnilingus.
Réaction islamo-nationaliste
Le coup d’État militaire de 1980 a mis un point d’arrêt à cette intense « furya » même si les films érotiques ont été encore produits et diffusés par la suite. De nombreuses activités sociales, culturelles et intellectuelles ont été affectées par le régime militaire, sa censure sévère et son idéologie « islamo-nationaliste ». Autant dire que la fuite en avant de l’industrie cinématographique ne cadre plus avec le nouveau pouvoir conservateur et autoritaire qui interdit les séquences pornos des salles. La législation contre la pornographie en Turquie a été récemment étendue et renforcée par le gouvernement du parti AKP.
Depuis une vingtaine d’années, les salles diffusant des films érotiques ferment leurs portes les unes après les autres en raison des révolutions technologiques successives : cassettes VHS, chaînes satellite puis internet. Mais la culture porno-érotique est toujours bien présente en Turquie. Outre l’affaire de l’Université Bilgi, des filles légèrement vêtues s’affichent quotidiennement en grand dans les pages de nombreux journaux. D’après un documentaire diffusé sur la chaîne turque Kanal D, 20% des internautes turcs se connectent pour visiter des sites classés X et le pays se situe au deuxième rang mondial de la consommation pornographique après le Japon. Dans le documentaire, une ancienne actrice de la période Seks Furyası commente avec nostalgie : « Dans les anciens films érotiques, il y avait une histoire ».
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Article original publié sur Mashallah News