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TURQUIE-ARMÉNIE • Des pogroms à l’empathie, que de chemin parcouru !

lundi 8 septembre 2008, par Yıldıray Oğur

Le président turc Abdullah Gül se rend en Arménie le 6 septembre à l’occasion d’un match entre les équipes des deux pays. Yildiray Ogur, éditorialiste au journal Taraf ,salue cette visite sans précédent et en profite pour taper sur les milieux nationalistes laïcs de son pays.

Du 6 septembre 1955 au 6 septembre 2008, que de changement pour la Turquie ! Ne prêtez donc pas attention à ces généraux de l’état-major qui dans leur dernier briefing ont disserté sur le postmodernisme considéré comme le mal absolu. En effet, c’est bien grâce au dynamisme d’« une clique de postmodernes dans laquelle on retrouve des journalistes, des universitaires, des investisseurs et des organisations de la société civile » [déclaration récente de l’état-major] que la Turquie évolue vers une société plus tolérante et plus ouverte.

C’est le 6 septembre 1955, à la suite de la diffusion de mensonges selon lesquels la maison natale de Mustafa Kemal Atatürk à Thessalonique, en Grèce, avait été détruite par l’explosion d’une bombe et que des pillards, encouragés par la bonne société républicaine et nationaliste turque de l’époque, s’en étaient pris violemment aux biens des minorités [arménienne, grecque et juive] les obligeant à quitter le pays. Bien des années plus tard, le général Sabri Yirmibesoglu, ancien responsable des unités spéciales de l’armée, expliquera que les émeutes des 6 et 7 septembre 1955 avaient été « une opération menée de main de maître par ses services et qu’elle avait atteint ses objectifs ».

Cinquante-trois ans jour pour jour après cette triste journée, voilà que le président turc Abdullah Gül se rend dans la capitale arménienne Erevan pour assister à un match de l’équipe nationale turque. C’est donc que la Turquie est bien en train de changer. N’oubliez pas qu’il y a à peine plus d’un an, ce même Abdullah Gül est parvenu à devenir président alors qu’il était menacé par les mises en garde de l’armée et les appels hystériques au lynchage de la bonne société républicaine et nationaliste descendue dans la rue. N’oubliez pas non plus qu’à la même époque le palais présidentiel était occupé par le président Sezer, qui n’avait pas cru bon de devoir féliciter l’écrivain Orhan Pamuk, pourtant premier Prix Nobel turc, en raison des déclarations de ce dernier sur le massacre des Arméniens.

La Turquie change, je vous dis. Ainsi, Erol Özkasnak, secrétaire de l’état-major de l’armée turque qui a joué un rôle prépondérant dans le « processus du 28 février 2007 » [accentuant le poids de l’armée sur les institutions politiques] et qui prétendait alors que l’Arménie fournissait des missiles au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), est aujourd’hui à la retraite. Imaginez-vous qu’une partie des plus grands dignitaires de l’Etat qui, à une époque pas si lointaine, se réunissaient d’urgence parce que l’on venait d’apprendre qu’un haut fonctionnaire avait une grand-mère arménienne se retrouvera le 6 septembre en Arménie. Et, croyez-moi, la société turque évolue plus vite encore que ces hauts dignitaires de l’Etat.

Pour que le poste frontière de Dogukapi, fermé en représailles à l’occupation en 1993 d’une partie du territoire de l’Azerbaïdjan par l’Arménie, puisse être rouvert, le maire de la ville de Kars [située non loin de la frontière turco-arménienne], Naif Alibeyoglu, a lancé une pétition qui a recueilli plus de 50 000 signatures. Des gens qui vivent au quotidien le ridicule d’une situation les obligeant à passer par la Géorgie ou à prendre l’avion pour rejoindre l’Arménie toute proche. Et, lorsque le 1er avril 2005, le quotidien local Kars Haber a annoncé l’ouverture de cette frontière, des milliers de personnes se sont massé des deux côtés.

L’association des Jeunes civils [fondée en réaction aux velléités putschistes anti-AKP de certains « jeunes officiers » colportées par le quotidien kémaliste Cumhuriyet], qui fait partie de cette catégorie postmoderniste fustigée récemment par l’état-major de l’armée, a lancé une initiative sympathique baptisée « Les supporters sans frontières » demandant que la frontière terrestre soit ouverte pendant au moins une journée, proposition qui a suscité un large écho dans les médias arméniens.

Vous voyez bien que la Turquie est en train de changer. Vous verrez que dans pas si longtemps les présidents turc et arménien inaugureront ensemble la réouverture de ce poste frontière. Ils tendront alors une paire de ciseaux à la veuve de Hrant Dink [journaliste turco-arménien assassiné à Istanbul en janvier 2007] qui coupera le ruban dévoilant le panneau Poste frontière Hrant Dink. Vous pensez que c’est absurde ? Certainement pas. Ce qui l’est, c’est tout ce qui s’est passé entre le 6 septembre 1955 et le 6 septembre 2008.

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Sources

- Publié dans le Courrier International du 5 septembre 2008. Paru dans le quotidien « Taraf ».

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