Recueilli par Nicolas Ballet
Hilda Tchoboian est présidente de la Fédération euro-arménienne pour la justice et la démocratie, qui dispose d’un bureau à Bruxelles. Elle est également présidente du Centre « Cocvas » pour la résolution des conflits et des droits de l’Homme et directrice de la Maison de la culture arménienne de Décines (Rhône).
L’Arménie et la Turquie ont signé le 10 octobre à Zurich (Suisse) un protocole d’accord historique. Ce texte prévoit notamment d’établir des relations diplomatiques et d’ouvrir les frontières entre les deux pays. Pourtant, vous êtes très peu enthousiaste. Pourquoi ?
Parce que nous ne pouvons faire confiance à la Turquie qui fera toujours prévaloir ses intérêts. Ils sont spécialistes de la propagande et de la poudre aux yeux ! D’ailleurs, au moment où ce protocole a été signé, des négociateurs turcs ont fait des déclarations selon lesquelles rien ne serait ratifié par le Parlement turc, tant que le Karabakh [en partie occupé par l’Arménie-ndlr] ne serait pas rendu à l’Azerbaïdjan.
Il faudra bien « déposer les armes » un jour avec la Turquie. Sinon, rien n’avancera jamais…
Je pose la question : est-ce aux Arméniens de « déposer les armes » ou est-ce à l’Etat le plus fort de le faire, en l’occurrence, la Turquie ? Nous ne sommes pas contre le protocole. Nous demandons qu’un point essentiel en soit retiré. Ce texte prévoit de mettre en place une commission d’historiens arméniens et turcs qui va semer le doute sur l’existence du génocide arménien. Car comment discuter avec des historiens turcs, alors que la Turquie ne reconnaît pas ce génocide et que le code pénal de ce pays interdit d’utiliser ce terme ? Toutes les recherches que notre diaspora a menées depuis des années, tout son travail d’information et de sensibilisation, risquent de faire les frais de ce protocole. N’oublions jamais qu’au moins 1,5 million d’Arméniens ont été assassinés par le gouvernement des Jeunes Turcs [entre 1915 et 1917]. Nos parents ne sont pas venus ici, en France, pour chercher du travail ! Ce point du protocole nous rend honteux vis-à-vis de ceux qui, en France ou ailleurs, nous ont aidés et nous aident pour la reconnaissance du génocide arménien.
Mais l’Arménie est aussi confrontée à d’importantes difficultés économiques. L’ouverture des frontières avec la Turquie serait une chance pour le commerce. Il serait un peu paradoxal que la politique arménienne se décide à Lyon plutôt qu’à Erevan…
C’est une question importante. Je considère que l’Arménie a toujours été pragmatique mais je dis qu’aujourd’hui, son pragmatisme est en train de la mener vers la politique du pire. La Turquie cherche à imposer ses conditions à travers ce protocole en profitant de la situation fragile de l’Arménie. On demande des concessions à l’Arménie alors que c’est la Turquie qui lui a imposé un blocus unilatéral !
Que proposez-vous ?
Il est tout à fait possible de ratifier un texte de droit international avec des réserves. C’est donc ce que doit faire le Parlement arménien avec le protocole de Zurich.
Et si ce n’est pas la voie suivie par le pouvoir arménien, la diaspora envisage-t-elle des représailles ? Pourrait-elle aller par exemple jusqu’à appeler au blocage des transferts de fonds vers l’Arménie ?
Non, certainement pas, car la population arménienne a besoin de notre aide. Mais si le président arménien ne nous écoutait pas, il y aurait une rupture psychologique très grave avec la diaspora.
Qu’attendez-vous de la France dans ce dossier ?
Nous attendons de la France en particulier, et de l’Europe en général, un allégement des pressions sur l’Arménie, frappée de plein fouet par la crise mondiale. Cette aide ne doit pas s’accompagner de préconditions favorables à la Turquie. Je leur dis : ne soyez pas dupe de la Turquie qui n’a qu’une façade de paix. Ce pays qui vire vers l’islam n’apporte pas les garanties nécessaires aux intérêts économiques et stratégiques de la France.