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Obama a compris la Turquie

dimanche 19 avril 2009, par Mustafa Akyol

« La grandeur de la Turquie réside dans sa capacité à être au centre des choses. Non pas là où l’Occident et l’Orient se séparent – mais plutôt là où ils se réunissent » a déclaré le président américain.

Par Mustafa Akyol, Istambul

Le voyage du président Barack Obama en Turquie a été un grand succès, comme aiment à le souligner les gens ici. A l’exception d’une centaine de manifestants « anti-impérialistes » de gauche qui sont descendus dans la rue en scandant « Yankee go home », la plupart des Turcs ont accueilli le président américain paisiblement, voire cordialement pour certains. Quelques nationalistes, comme Devlet Bahçeli, dirigeant du parti d’action nationaliste ou MHP, n’ont pas apprécié les propos du président Obama au sujet des relations entre la Turquie et l’Arménie – ou plus précisément le manque de liens entre ces deux pays. Mais cela est tout à fait normal. Le lobby arménien aux Etats-Unis, qui n’est pas un fan de la Turquie, n’a pas non plus vu d’un bon oeil la façon dont la question a été traitée. Souvent lorsqu’une position est désapprouvée par les extrémistes des deux bords c’est qu’en fait elle est juste.

Démocratie laïque

Personnellement, j’ai beaucoup aimé les divers messages du président Obama. Les mesures qu’il a suggérées à la Turquie sont tout à fait raisonnables. Bien sûr, nous devons introduire de plus amples réformes pour honorer les droits des citoyens kurdes et des minorités religieuses. Evidemment, le Séminaire de Halki – principale école théologique du Patriarcat œcuménique l’Eglise orthodoxe d’Orient - fermé à tort par les autorités turques en 1971 - doit être réhabilité. Il s’agit là d’une étape élémentaire. Quant à l’étape suivante, elle a été sous-entendue dans le choix des termes employés par le président Obama dans son discours devant le parlement turc. Ainsi, il a utilisé le terme de « démocratie laïque », qui devrait attirer l’attention de nous autres Turcs. C’est dans le contexte de l’héritage laissé par Mustafa Kemal Atatürk, fondateur de la nation, que ce terme a jailli. Le président Obama a dit que la chose la plus formidable que celui-ci ait laissé en héritage à son peuple, c’est une démocratie forte et laïque. Il a ajouté en s’adressant aux parlementaires, qu’aujourd’hui ce sont eux qui poursuivent son œuvre. Sans avoir inventé la poudre, cette formulation est en réalité très intelligente. Car le terme de « démocratie laïque » n’est pas banal dans le langage politique turc. Nous préférons en général utiliser deux autres termes : « république laïque » (laik cumhuriyet) et « démocratie »(demokrasi). D’ailleurs, ces deux termes sont parfois employés l’un pour l’autre. Or des coups d’Etat militaires ont eu lieu et ont été justifiés au nom de la république laïque. D’ailleurs la démocratie est souvent rejetée par les défenseurs de la république laïque comme étant une contre-révolution par rapport à la leur.

Mais alors qu’y –a-t-il de bon dans une république laïque si elle n’est pas démocratique ? L’Union soviétique, par exemple, était une république laïque, mais ce n’est pas l’endroit où l’on aurait voulu vivre si on aspirait à des choses telles que les droits de la personne. Il en va de même pour la Corée du Nord, la Chine communiste ou encore l’Irak de Saddam Hussein. Tous ces régimes étaient dotés d’une idéologie officielle (respectivement le kim il-sungisme, le maoïsme et le baassisme) on ne peut plus laïques. Et pourtant tous se disaient des républiques. Cela vous épate ?

Le plan sémantique

Evidemment, il est de loin, préférable que l’Etat repose sur un idéal démocratique, plutôt que sur une idéologie officielle. Quant à la laïcité, elle n’a de sens que si elle est au service d’un idéal démocratique. Dans ce contexte, son rôle est de sauver l’Etat, et par conséquent la société, de la domination d’une doctrine religieuse. Mais si la laïcité devient elle-même une doctrine dont l’objectif est de supprimer ou de manipuler la religion, alors elle représente une menace pour l’idéal démocratique. C’est justement ce qui s’est produit en Turquie et c’est pourquoi nous les Turcs, avons besoin de réapprendre le sens du mot laïcité (laiklik) dans une acception démocratique et non autocratique. Le discours de Barack Obama nous a non seulement ouvert les yeux à ce sujet sur le plan sémantique, mais il nous a aussi fait comprendre que le régime laïc de la Turquie ne doit pas forcément s’opposer à l’identité musulmane, pas plus qu’il ne doit l’ignorer. Dans son discours, le président américain s’est référé à l’islam et aux musulmans à neuf reprises. Quant à son message, il s’adressait non seulement aux Turcs mais à l’ensemble du monde musulman : « Les Etats-Unis ne sont pas et ne seront jamais en guerre contre l’islam » a-t-il dit. Ce n’est pas un hasard si M. Obama a dit cela non pas à Londres ou à Prague, mais à Ankara.

« Ce qu’ils ne comprennent pas »

Par ailleurs, le président américain s’est dit en désaccord avec ces pontes qui sèment la méfiance en répandant l’idée que la Turquie, sous son gouvernement actuel, « est tournée vers l’est ». « Je sais que certains aiment débattre de l’avenir de la Turquie », a affirmé Barack Obama, ajoutant : « Ils se demandent si vous allez être tirés plutôt dans une direction que l’autre ». Puis il a expliqué pourquoi ils ont tort : « Voici ce qu’ils ne comprennent pas : la grandeur de la Turquie réside dans sa capacité à être au centre des choses. Non pas là où l’Occident et l’Orient se séparent – mais plutôt là où ils se réunissent. Dans la beauté de votre culture. Dans la richesse de votre histoire. Dans la force de votre démocratie. » C’est tout à fait juste. L’erreur de ceux qui débattent de la question turque est de vouloir réduire la Turquie à une seule identité qu’ils ont eux-mêmes choisie, tendant à la définir comme alliée de l’Occident, membre de l’OTAN et république laïque. Tout cela est vrai, et même très bien, mais la Turquie est plus que cela. Elle est aussi l’héritière de l’Empire ottoman, un membre important de la famille des nations à population majoritairement musulmane et elle est enfin le terrain d’essai pour réaliser une synthèse de l’islam et de la démocratie. C’est tout cela qui rend la Turquie si spéciale. C’est ce qui lui donne une signification qui va au-delà de ses frontières. Il est évident que le président américain l’a très bien compris. Peut-être est-il temps que les Turcs en fassent autant.

* Mustafa Akyol est chroniqueur et écrivain à Istanbul.
Article distribué par le Service de Presse de Common Ground (CGNews), avec l’autorisation de l’auteur.

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