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L’arrêt Soysal : un pas vers la libre circulation des ressortissants turcs dans l’Union Européenne ?

mercredi 17 juin 2009, par Bilgehan Erçok

Passeport turcLa Cour des Justice des Communautés Européennes (CJCE) de Luxembourg a rendu récemment un arrêt qui a fait couler beaucoup d’encre en Turquie. En effet, l’arrêt Soysal de février dernier, qui s’appuie sur le protocole additionnel à l’accord d’association entre l’Europe et la Turquie, lèverait en partie les obstacles à la libre circulation des ressortissants turcs dans l’Union Européenne (UE). Les médias turcs ont ainsi déjà évoqué une disparition des visas… Pas si simple… Retour sur les détails de cette affaire…

L’accord d’association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, signé le 12 septembre 1963, ainsi que le protocole additionnel du 23 novembre 1970 (entrée en vigueur le 1er janvier 1973), régissent les relations entre la Communauté et la Turquie. Ce protocole a la même force contraignante que l’accord d’association lui-même, pour les Etats membres et les institutions communautaires. Aucune réglementation communautaire ou nationale des Etats membres ne devraient donc en principe contrevenir à ces deux textes.

Alors même que l’article 41 paragraphe 1 du protocole additionnel de 1973 pose le principe selon lequel il existe une interdiction globale d’aggravation des droits des ressortissants turcs y compris dans leur droit d’admission et de séjour, les Etats membres de l’UE ainsi que les institutions communautaires ont commencé, dans les années 1980, à adopter des textes posant des conditions supplémentaires concernant l’accès des ressortissants turcs sur le territoire de l’UE. Parmi ces exigences l’obligation d’obtenir un visa a été formulée. Ces nouvelles exigences non prévues dans les règlementations antérieures s’apparentent à une nouvelle restriction au droit de séjour des ressortissants turcs. C’est pourquoi, depuis 2000 (arrêt Abdülnasır), la Cour de justice des communautés européennes rappelle que les nouvelles législations ne peuvent faire perdre aux ressortissants turcs des droits acquis lors de l’entrée en vigueur du protocole additionnel : c’est la clause de stand still. L’exigence de visa faisant perdre aux ressortissants turcs des droits acquis sont dès lors illégales (arrêt Abatay et Şahin 2007 et Tüm et Dari 2007). C’est dans la continuité de ses positions que la CJCE a rendu un arrêt le 19 février 2009 sur les conditions d’accès des ressortissants turcs sur le territoire européen.

Dans cette affaire, M. Soysal et M. Savatlı, ressortissants turcs domiciliés en Turquie, travaillent en tant que chauffeurs routiers effectuant des prestations de services, sous forme de transports internationaux de marchandises, au nom d’une société turque. Dans le cadre de leur emploi, ils sont appelés à faire des allers-retours entre la Turquie et le territoire de l’UE en particulier sur celui de l’Allemagne. Jusqu’en 2000, l’Allemagne leur a octroyés à plusieurs reprises un visa d’entrée en leur qualité de conducteurs de poids lourds pour qu’ils puissent y effectuer des prestations de services. Néanmoins, en 2001 et 2002, le Consulat général d’Allemagne à Istanbul leur a opposé des refus répétés.

Face à ces refus, ils ont décidé d’introduire des recours devant les tribunaux administratifs allemands. Par un jugement du 3 juillet 2002, la juridiction administrative allemande de première instance a refusé de faire droit à leur demande, c’est pourquoi ils ont saisi la Cour administrative d’appel (CAA) allemande qui, quant à elle, par un renvoi préjudiciel devant la CJCE, a sursis à statuer sur l’affaire jusqu’à ce la CJCE rende son arrêt sur l’interprétation du protocole additionnel de l’accord d’association entre la Turquie et l’Europe.

La loi allemande sur les étrangers de 2004 oblige les ressortissants turcs à circuler avec un visa. Cette loi, bien que conforme au règlement communautaire de 2001 (CE n°539/2001) contredit en fait les dispositions de l’article 41 paragraphe 1 du protocole additionnel. La CJCE s’est donc, une nouvelle fois interrogée, sur le fait de savoir si l’exigence de visa pour les ressortissants turcs en matière de libre prestation de services était plus restrictive que les exigences applicables à ces ressortissants, lors de l’entrée en vigueur du protocole additionnel, à savoir le 1er janvier 1973. La Cour, le 19 février 2009 a considéré que « L’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel, signé le 23 novembre 1970 (…) s’oppose à l’introduction, à compter de l’entrée en vigueur de ce protocole, de l’exigence d’un visa pour permettre à des ressortissants turcs (…) d’entrer sur le territoire d’un État membre aux fins d’y effectuer des prestations de services pour le compte d’une entreprise établie en Turquie, dès lors que, à cette date, un tel visa n’était pas exigé. ». Ses décisions s’imposant aux juridictions nationales, la CAA allemande a, dans sa décision du 25 février 2009, considéré que l’Allemagne ne devait pas exiger de visa pour les ressortissants turcs en matière de libre prestation de services.

Ces solutions respectives exigent en fait de déterminer la portée exacte de la non exigence de visa en matière de libre prestation de services qui pourrait modifier considérablement les conditions d’accès des ressortissants turcs sur le territoire de l’UE. En effet, la libre prestation de service peut renvoyer à la fois aux prestataires de services soit uniquement aux travailleurs turcs mais cela peut également renvoyer aux bénéficiaires de services soit dans ce cas à tout turc souhaitant bénéficier d’une prestation de service (hôpital, tourisme, restauration etc). La détermination de la portée de la libre prestation de services est donc fondamentale.

A l’heure actuelle, l’arrêt de la CJCE fait l’objet d’une interprétation différente : les Etats membres de l’UE voulant limiter l’absence d’exigence de visa à des catégories particulières de ressortissants turcs, en ont une interprétation restrictive, tandis que la Turquie en fait une interprétation large. C’est ainsi qu’alors que certaines personnalités publiques allemandes considèrent que le visa n’est plus requis pour les ressortissants turcs y compris les touristes, dans un communiqué de presse, l’ambassadeur de l’Allemagne en Turquie a informé que le visa demeure obligatoire pour les touristes turcs voulant bénéficier de prestations de services en Allemagne. La presse turque, ainsi que des juristes turcs spécialiste de droit communautaire, comme le professeur Gümrükçü, considèrent, quant à eux, que même les touristes doivent être exemptés de visa.

Reste désormais à voir quelle sera la réaction de la Commission européenne à l’issue de cet arrêt de la CJCE et notamment si elle proposera l’élaboration d’un acte communautaire modifiant la réglementation communautaire qui n’est pas conforme, selon la Cour de Luxembourg, au protocole additionnel de 1970 ?

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Sources

- Article publié sur le blog de l’OViPoT le 21 avril 2009, sous le titre :
« L’arrêt Soysal : un pas vers la libre circulation des ressortissants turcs dans l’Union Européenne ?… ».

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