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"Nous avons bu la même eau"

lundi 26 mai 2008, par Mylène Griess


Malheureusement, Serge Avédikian manque cruellement de moyens mais ce n’est pas forcément sa faute...

Tourné à trois reprises en vidéo, de 1987 à aujourd’hui, le format supporte mal la projection en salles si on n’a pas les moyens de faire étalonner correctement les images. Mais en plus, et c’est d’ailleurs le plus important, le film manque d’images et de dialogues. La parole attendue ne viendra pas vraiment.

On reste sur sa faim, car finalement, on rencontre peu de personnages dans le village du grand-père de Serge Avedikian et les scènes dans lesquelles ceux-ci se livrent sont beaucoup trop courtes. Pas forcément toujours de la faute du cinéaste d’ailleurs et j’en viens au fond du contenu du documentaire : il n’y a presque rien à voir d’arménien dans le village de Yeni Sölöz. Quelques pierres tombales disséminées ça et là, quelques autres réunies dans un champ à l’abandon dans l’espoir d’y ériger un jour peut-être un musée qui attirerait quelques touristes. De vieux immeubles ou maisons ottomanes dans lesquelles vivaient des familles arméniennes sont encore debout, mais l’église a totalement disparu.

Et que disent-ils ces quelques turcs qui parlent ? (Et Serge Avédikian nous montre aussi qu’il a été empêché de filmer par le maire en 1987 et qu’il a été « mal vu » par la plupart des habitants du village ensuite).

Ils savent que 4000 arméniens vivaient là avant la guerre. Ils savent qu’eux-mêmes sont des Turcs de Grèce échangés en 1922, qu’ils ont trouvé un village vidé de ses habitants et qu’on leur a proposé de vivre là. Sölöz est alors devenue Yeni Sölöz.

Les différents témoignages nous montrent des hommes qui tous réfutent l’idée d’un génocide. « C’était la guerre ». « Enver Pacha était un dictateur ». J’ai presque envie d’écrire : il s’agit là de réflexions typiques, d’une mémoire confisquée par l’Etat turc depuis longtemps. Rien de neuf. Il nous montre aussi que pour ces hommes, les obstacles dressés sur la route de la Turquie à son entrée dans l’UE ne sont que la suite d’une longue incompréhension de l’Europe face à une Turquie victime depuis longtemps de celle-ci. Discours officiel, donc.

Finalement, je pense que Serge Avédikian a lui aussi souffert de ce manque de paroles sur son passé, de cette absence de « matériel » qu’il aurait pu, qu’il aurait sûrement voulu, intégrer dans son film et qui fait tourner son film à vide. Il croit utile de nous montrer des images de déportation et un déroulé didactique sur le rappel des principaux événements entre 1914 et 1923. Ce n’est pourtant pas cela que l’on vient chercher dans son documentaire qui n’est pas là pour nous montrer un passé d’historien.

Trop tard, pense-t-on à la fin de la projection. Beaucoup trop tard. Les témoins disparaissent irrémédiablement, les pierres tombales sont noircies et s’effacent sous la poussière. Serge Avédikian nous livre un dernier message d’espoir en interrogeant quelques écoliers. Une petite fille connaît le passé du village, elle sait elle aussi qu’avant, il y a longtemps, vivaient là des Arméniens. C’est son grand-père qui lui a dit.

Mais c’est peu. Beaucoup trop peu.

A lire aussi, la critique du Monde.

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