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Ne pas aimer Atatürk

lundi 16 juin 2008, par Haluk Sahin, Marillac

Lors d’une émission de télévision, on a demandé à deux jeunes filles si elles aimaient Atatürk. Le fait qu’elles aient répondu négativement a suscité pas mal de remous.

Le simple fait qu’une telle réponse – et a fortiori une telle question- ait été fournie est très révélateur de la distance qu’il reste à parcourir à notre pays sur la voie de la normalisation.
Il en est parmi nous à s’étonner que des gens, et notamment des femmes, ne puissent pas aimer Atatürk. Cela leur est impossible à avaler.

J’ai été témoin de semblables manifestations de surprise en Azerbaïdjan au début des années 90. A cette époque, alors que je venais de m’entretenir avec le leader Ebufelz Elçibey alors obligé de vivre dans le secret et que je rentrais à Bakou, l’un des leaders du Front Populaire s’est tourné vers moi et m’a demandé :
« est-il bien vrai qu’il est des gens en Turquie qui n’aiment pas Atatürk ? »

On comprenait au ton de sa question qu’elle avait été posée avec le soupçon qu’une telle possibilité ne pouvait procéder que de l’irrationnel nécessaire par exemple à la probabilité que les liaisons interurbaines en Turquie puissent être assurées par des soucoupes volantes. J’ai ri. Et j’ai répondu : « et de toutes sortes par-dessus le marché ! »

Pour le citoyen d’un pays ayant passé 220 ans sous occupation russe et vivant alors les difficultés de l’indépendance, il était quasi impossible de comprendre qu’on ne puisse pas aimer le leader de la résistance, de la reconquête et de l’indépendance turque.

Exactement comme un des mes amis américains que j’ai vu il y a quelques mois… Un ami qui aime la Turquie et Besiktas (club de football stanbouliote, NdT), un ami qui se promène en Californie avec le maillot de Besiktas sur les épaules.
Un jour alors qu’il tournait un film en Alaska, il a découvert un restaurant turc et y a entraîné toute son équipe. Au tenancier de cet endroit décoré à l’orientale, il a demandé en plaisantant où se trouvait le portrait d’Atatürk.
Lorsqu’il entendit Atatürk, l’homme répondit par une insulte en faisant un geste obscène. Mon ami fut extrêmement surpris, incapable de comprendre pourquoi et comment un homme pouvait ne pas aimer le Georges Washington de son propre pays.
Nous savons qu’en Turquie, il est des jeunes dans certaines confréries religieuses dont les cerveaux sont systématiquement soumis à l’apprentissage de la haine d’Atatürk. Et les gens ainsi éduqués ne sont pas capables en raison de divers interdits d’exprimer de telles choses. Il grandissent avec cette haine dissimulée en eux.
Et ce qui véritablement néfaste, c’est ce refoulement. C’est ainsi que le fait que les apprentissages sont faux ou peuvent être faux n’est jamais révélé.

Par exemple, lors de cette récente émission de télévision, lorsqu’on a demandé à l’une des jeunes filles voilées les raisons de son désamour pour Atatürk, la réponse qu’elle a donné était remplie d’erreurs et d’approximations factuelles. Ce sont des erreurs qui s’accumulent sur d’autres erreurs.
Mais il est évident que cette jeune fille croit en ce qu’elle dit. Il est clair qu’elle n’a parlé de ces choses-là que dans des milieux fermés, qu’avec des personnes soumises au même endoctrinement et qu’elle n’a jamais sorti ses connaissances à la lumière du grand jour.
Et n’a jamais pu ainsi faire la part du vrai et du faux.

L’utilité de la liberté de pensée et d’expression n’est pas seulement d’être plus conforme à l’idée que l’on se fait de l’honneur d’un homme ou de sa capacité à développer ses idées. Elle est aussi de pouvoir corriger ses erreurs et affûter ses opinions face à celles qui lui seront opposées.

Vous apprendrez même les pensées que vous détestez afin de développer les contre arguments nécessaires à les combattre. Mais nos kémalistes n’ont pas été en mesure de comprendre cela.
Il nous serait éminemment profitable sur le plan psychologique de pouvoir porter librement le débat sur Atatürk en le sortant du dilemme « déification – démonisation ».

N’est-ce pas d’ailleurs ce que nécessite l’objectif central d’Atatürk, à savoir un niveau de « civilisation moderne » ?

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Sources

Source : Radikal, le 13-06-2008

- Traduction pour TE : Marillac

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