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Un livre de Justin McCarthy

Les Ottomans à la fin de l’Empire

mardi 22 janvier 2008, par Richard S. Stewart

Voici le compte-rendu d’une étude sur la fin de l’Empire ottoman, paru dans une revue pédagogique américaine.

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Cet ouvrage est l’un des premiers d’une nouvelle collection, au thème fascinant : expliquer les « fins » d’un ordre mondial, à une époque donnée. Il décrit le sort des peuples de l’Empire ottoman, lors de son déclin, puis de sa fin, consécutive à la Première Guerre mondiale.

D’autres livres de cette collection traiteront de la chute de l’Empire romain, de l’Empire mongol, et du bloc de l’est. Dans notre époque de transition historique, ces livres devraient être utiles aussi bien au grand public qu’aux étudiants.

Le travail de McCarthy comporte une étude exceptionnelle des données permettant de comprendre le sort de certaines populations, comme les Bulgares orthodoxes dans la Macédoine d’après-guerre, les Arméniens en Anatolie orientale, les Grecs à Izmir, et les Turcs musulmans en Grèce après l’« échange de populations » qui a suivi la guerre d’indépendance turque. Quand les données sont incomplètes, ou manquent de fiabilité, McCarthy le dit et explique pourquoi. Il indique qui a effectué le meilleur de recensement (les Britanniques en Palestine furent plus précis que les Français en Syrie), et donc qui sont les plus crédibles.

Épidémie nationaliste

Ce qui émerge, c’est l’histoire violente d’une série de guerres, de massacres et de déplacements de populations, fondée sur le concept ouest-européen de « nationalisme ». Le but de McCarthy n’est pas de décrire le développement de cette idée, mais quel caractère elle a pris après 1850, et quels furent ses effets terribles, pas seulement entre 1912 et 1922, mais jusqu’à nos jours. Le nationalisme suppose l’exclusion. Il est fondé sur des caractéristiques définissant strictement les membres de la communauté « nationale » : la langue, l’origine ethnique, et un sentiment d’une histoire partagée, souvent déterminées par la haine commune d’un autre peuple, qui aurait opprimé la « nation » dans le passé. Les liens qui unissent sont les « liens du sang ».

Chaque nation s’enracinerait dans un lieu particulier, et porte dans son sang la substance fondamentale de l’esprit, ou de « l’âme », de la nation. Les objectifs nationaux sont l’expansion territoriale maximale, jusqu’aux limites les plus reculées qu’aient jamais atteintes le peuple, ou celles qui sont désignées comme ancestrales. La nation bulgare devrait atteindre les « trois mers » (la mer Noire, la mer Égée et l’Adriatique), parce que le royaume médiéval, tel qu’imaginé à la fin de l’Empire ottoman, était supposé les avoir atteintes, et devrait englober toute la Macédoine, parce que les Macédoniens acceptent l’autorité de l’exarchat bulgare.

Mais ceux au nom de qui les guerres de libération furent menées n’acceptaient pas le nationalisme. L’Empire ottoman s’est avéré être un État exemplaire pour l’intégration de communautés minoritaires comme parties constitutives. De nombreuses villes des Balkans comprenaient plusieurs groupes communautaires. Le système turc des millets prévoyait une large autonomie locale ; chaque groupe gérait ses propres affaires. McCarthy estime que cela servait plutôt bien les intérêts des populations arabes. Si celles-ci avaient eu le choix, après la Première Guerre mondiale, elles auraient opté pour un grand État arabe, comprenant la Syrie, l’Irak et l’Égypte plutôt que ces petits États séparés, qui pourraient être manipulés dans l’intérêt de leurs créateurs, les Européens.

Après 1850, environ, McCarthy voit dans la tendance constante des Européens à intervenir dans les conflits locaux (comme l’affaire de Crimée et la guerre russo-turque qui s’en est suivie) une des causes majeures des problèmes se posant, à long termes, aux pays ottomans. Les puissances ont imposé leur conception de l’État-nation à des entités à peine créées, comme la Serbie et la Bulgarie ; elles ont manipulé les minorités présentes, ou les ont montées les unes contre les autres, selon leur propre intérêt. Elles se sont engagés dans la voie de l’impérialisme. Les discours du président Wilson sur l’autodétermination des peuples n’ont pas été pris au sérieux.

Manipulations minoritaires

À Versailles, les grandes puissances ont suivi leur intérêt, comme elles l’avaient fait lors des nombreux congrès tenus depuis Vienne, en 1815. Mais Versailles fut différent, car le but de « revanche » y fut démasqué, apparaissant comme le principal objectif de plusieurs nations. Parce que la France et l’Angleterre voulaient limiter les ambitions italiennes en Méditerranée orientale en se servant de la Grèce, et parce qu’elles ont été séduites par l’amour supposé des Grecs pour la « liberté », elles ont autorisé, en 1920, les troupes helléniques à envahir Izmir et à contrôler la majeure partie du littoral égéen de la Turquie. Les Turcs seraient ainsi sanctionnés pour s’être engagés dans la guerre, les Grecs seraient récompensés, quant aux Italiens et aux Russes, leurs ambitions seraient contenues. McCarthy croit que ce sont les Turcs qui ont le plus souffert pendant la période de guerres (1912-1922), avec une perte démographique nette d’1,2 millions d’individus rien pour que l’Anatolie occidentale. Mais sa description est équilibrée : « Personne n’a eu les mains propres ». La disparition de la communauté arménienne à l’est et de la communauté grecque à l’ouest sont survenues alors que la Turquie était submergée par la frénésie de haine et de meurtre qui ont marqué cette période.

La force de McCarthy réside dans sa description des pertes consécutives au nationalisme, à l’impérialisme et à la guerre. Son étude des populations de l’époque est celle d’un maître. Il estime que liens lâches de l’État ottoman auraient pu mieux assurer le bien-être des peuples de l’Empire que les nouveaux États-nations. Par contre, lorsqu’il estime que les Tanzimat et les réformes ultérieures ont mis en place un État moderne, il fait preuve de partialité. Ce livre est exceptionnel pour sa grande attention aux sort des nombreux peuples ottomans, mais aussi pour son découpage chronologique unique, et à sa sélection de thèmes. Il est marqué par la sympathie de McCarthy pour un empire qui dura plus de 600 ans, et par son examen équilibré de ceux qui furent pris dans la tourmente de sa disparition.

- The Ottoman Peoples and the End of Empire, par Justin McCarthy. Oxford University Press, 2000. 224 pages. $24,95

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Sources

Source : « The History Teacher », XXXVI-4, août 2003.

http://www.historycooperative.org/j...

- Traduction pour TE : MG.

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