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Les origines ottomanes du Président Sarkozy

vendredi 28 mars 2008, par Marie-Antide

L’information est parue sur le blog La Turquie pour les nuls, puis, par les voies impénétrables du Net, est arrivée dans les rédactions de presse en Turquie, où elle a été reprise et largement diffusée à la fin 2007.

En mai dernier, pendant la campagne présidentielle, la question des origines familiales de Nicolas Sarkozy a suscité l’intérêt tant sur le plan national qu’à l’international, donnant lieu à une littérature « journalistique » abondante. Pris à partie par un certain Jean-Marie Le Pen sur ses origines « extra-hexagonales », Nicolas Sarkozy a, lui-même, affirmé, d’abord, le 10 avril à Tours dans son meeting d’avant premier tour :

« Oui, je suis un enfant d’immigré, fils d’un Hongrois, petit-fils d’un Grec né à Salonique. »

Et ensuite, le 3 mai, à Montpellier dans la campagne d’entre-deux tours :

J’ai été élevé par mon grand-père, je l’aimais passionnément. Il avait fait la Première Guerre, et il avait eu peur, lui le Juif de Salonique, de la Seconde Guerre Mondiale.« Donc d’après le récit »officiel« , le grand-père maternel de Nicolas Sarkozy, Benedict Mallah qu’il aimait passionnément, serait un »Juif grec né à Salonique« . Pour tous ceux qui connaissent l’histoire du peuple juif, cette information comporte une omission, un »non-dit« considérable sur les origines »ottomanes" du Président de la République française.

Mais faisons d’abord un bref rappel historique. Dès l’époque romaine il existe une présence juive à Salonique où, en 1170, Benjamin de Tudèle dénombre 500 Juifs romaniotes (de langue grecque). En 1430, la ville passe sous la domination ottomane et commence à se peupler de nouveaux habitants de confession musulmane, c’est-à-dire de Turcs ottomans. Suite à la prise de Constantinople en 1453, les Ottomans incitent les Juifs des communautés des Balkans et d’Anatolie à venir repeupler la nouvelle capitale de l’Empire. En conséquence de cette mesure (qui est habituelle à l’époque et qui concerne aussi les populations musulmanes sans discrimination religieuse aucune) le recensement ottoman de 1478 ne dénombre aucun Juif à Salonique.

De Salonique la Juive, l’Ottomane, à Thessaloniki la Grecque

Ainsi malgré une présence historique, la véritable communauté juive salonicienne ne sera formée qu’avec l’arrivée massive de nombreux juifs sépharades. Eux, les Juifs espagnols, sont contraints de quitter l’Espagne en 1492, à cause de l’inquisition, par le décret d’Alhambra signé par la reine Isabelle la Catholique. L’Empire ottoman décide d’accorder sa protection à des milliers de familles juives en acceptant, et même en encourageant, l’installation sur son territoire des Sépharades touchés par les décrets d’expulsion. Les premiers Sépharades arrivent dès 1492 en provenance de Majorque, ce sont des « repentants » revenus au judaïsme après leur conversion forcée au catholicisme.

En 1493 des Castillans et des Siciliens les rejoignent puis les années suivantes d’autres Juifs issus de ses contrées viennent mais aussi des Aragonais, des Valenciens, des Calabrais, des Vénitiens, des Apuliens, des Provençaux et des Napolitains. Plus tard c’est au tour des Portugais de chercher refuge à Salonique entre 1540 et 1560 suite à la politique de persécution des marranes de ce pays.

En plus de ces sépharades arrivent des ashkénazes originaires d’Autriche, de Transylvanie et de Hongrie, à la suite de la conquête de ces terres par Soliman le magnifique à partir de 1526 (Gilles Veinstein, Salonique 1850-1918, la « ville des Juifs » et le réveil des Balkans). Selon Veinstein, « les Juifs n’y constituaient pas, comme à l’ordinaire, une minorité marginale. Ils étaient ’la’ majorité, et leur culture donnait le ton à toute la ville. À partir de 1850, Salonique devient progressivement le pôle le plus dynamique d’un Empire ottoman vermoulu. Elle s’ouvre aux connaissances, aux techniques, aux idées, aux mœurs de l’Europe moderne. Tandis que l’Histoire s’emballe au début de notre siècle, la ville est le point de départ de la révolution jeune-turque contre le sultan en 1908 ; passe sous domination grecque en 1913 ».

Après la Première Guerre mondiale, Salonique change de visage avec son intégration à l’État national grec, le grand incendie de 1917, le départ des Turcs et d’une partie des Juifs, et l’arrivée massive de réfugiés grecs venus de Thrace et d’Asie mineure ; avant la phase finale de l’extermination des Juifs en 1943.

En effet, la Première Guerre mondiale engendre douleurs et misère. En 1917 un gigantesque incendie ravage la ville et en particulier les quartiers à forte composante juive - et nombreux sont ceux qui prennent la route de l’exil, vers l’Europe occidentale ou les Etats-Unis surtout. Le nombre des exilés s’accroît après 1922, date à laquelle les autorités grecques commencent à promulguer des décrets antisémites parfois accompagnés de violences physiques. Après les émeutes de 1931, qui évoquent un véritable pogrom, sionistes et sympathisants partent pour la Palestine.

« En chacun d’entre eux, pourtant, subsiste la nostalgie de ce qui fut la plus grande métropole séfarade du monde, le Jérusalem des Balkans », relatent souvent les sources juives. Salonique la Juive, l’Ottomane, devient, incendie par incendie, Thessaloniki la Grecque.

Le grand-père maternel de Nicolas Sarkozy, un citoyen « Ottoman »

Ainsi, les Mallah et le grand-père maternel de Nicolas Sarkozy appartiennent à une famille sépharade accueillie par l’Empire ottoman. A l’époque de la naissance de Benedict Mallah, Salonique (appelée alors Selanik et pas encore Thessaloniki) fait partie intégrante de l’Empire ottoman. La ville est, d’ailleurs, tellement turque qu’elle donne naissance en 1881 à Mustafa Kemal Ataturk qui devient, en 1923, le fondateur de la Turquie moderne et républicaine.

Benedict Mallah et Ascher Mallah, le cousin du grand-père maternel de Nicolas Sarkozy, sont tous les deux nés citoyens « Ottomans ».

Ascher Mallah vient au monde en 1880, un an avant la naissance de Mustafa Kemal dans la même ville. Il sera diplômé, avec la mention « très bien » du « Lycée impérial de Galatasaray » en 1900. Son Diplôme de Bachelier-ès-Lettres et ès-Sciences est délivré le 14 juillet 1900 à Constantinople par le Ministère ottoman de l’instruction publique. Au Lycée impérial de Galatasaray « Ascher Mallah Effendi », fils de Jacob Mallah, né à Salonique en septembre 1880 étudie, entre autres, la littérature turque et française, la langue arabe, la langue persane, l’histoire générale et l’histoire de l’Empire ottoman. Il étudie également la géographie générale et la géographie de l’Empire ottoman, la philosophie.

Trois générations séparent seulement Nicolas Sarkozy, devenu Président de la République française, et « Ascher Mallah Effendi », le cousin de son grand-père maternel. Trois générations seulement pour qu’en 2007 Nicolas Sarkozy s’oppose frontalement à l’adhésion de cette Turquie où une partie de sa famille a jadis trouvé refuge.
L’Europe que nous aimons et nous défendons n’est décidément pas celle qui a peur de l’Asie mineure, de la Cappadoce ou du plombier polonais. Nous préférons assurément l’Europe d’Ascher Mallah…
Et moi aussi !

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