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Le kurde, une langue inconnue des juges du tribunal de Diyarbakir et … des manuels scolaires français

lundi 10 janvier 2011, par Yollar

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Porte de Diyarbakir
Photo - Anne Guezengar

Connaissant le sens de l’humour des Kurdes, je suis sûre qu’on a dû bien rire dans les restaurants de Diyarbarkir en apprenant la nouvelle. Des avocats chargés de la défense de certains des nombreux élus, cadres du parti BDP, militants ou représentants de la société civile kurde dont le procès se déroule (et vient d’être ajourné au 13 janvier) dans la principale ville kurde de Turquie, avaient décidé de s’exprimer en kurde. Ils ont été expulsés du tribunal. Motif : ils s’exprimaient dans une langue…inconnue !

- Article original

Ces messieurs (et peut-être dames) travaillent - et donc vivent - à Diyarbakir, mais n’ont même pas réalisé que le kurde y était parlé et même écrit ! Ils ont bien dû avoir dans les mains un ou deux exemplaires du journal kurde Welat pourtant, dont certains des journalistes sont emprisonnés. Si la langue dans laquelle ils ont écrit leurs articles est une langue inconnue, et donc indéchiffrable, sous quel motif ont-ils été inculpés alors ? Certes, ce ne sont peut-être pas les mêmes juges qui les ont envoyés en prison. Mais à défaut de rencontrer de temps à autre les indigènes locaux, ils pourraient au moins se parler entre collègues, histoire d’être moins ignorants des réalités.

Pour ces juges donc, il existe en Turquie une chaîne de TV d’Etat (TV6) qui s’exprime dans une langue inconnue, Aynur a chanté dans une langue inconnue lors du gala d’ouverture d’Istanbul capitale européenne de la culture, et dans ses meetings à Diyarbakir, Recep Tayyip Erdogan, le chef du gouvernement adresse régulièrement quelques mots d’une langue inconnue à son auditoire…

Certes, il y a sûrement pas mal de gens en Turquie pour considérer le kurde comme une langue de gueux. Certains supportent difficilement d’entendre les convives de la table de restaurant voisine s’exprimer en kurde, pensant y déceler un acte subversif mettant l’unité de la République en grave danger (ceux là doivent considérer que la Suisse doit être au bord de la dislocation avec le nombre de langues qui y sont parlées). Mais ceux qui ignorent qu’il existe une (en fait plusieurs) langue kurde ne doivent pas être légion.

Ouf, les juges du tribunal de Diyarbakir sont quand même assurés de trouver quelques soutiens indéfectibles. Et c’est dans les manuels scolaires d’histoire géographie de l’Etat qui a servi de modèle à leur république jacobine, qu’on en trouve un magnifique exemple. Dans un chapitre sur la diversité des langues d’un cours de première de lycée français, on apprend que le breton, le basque ou le catalan sont des langues qui existent et que les langues minoritaires sont défendues au sein de l’UE (et que c’est magnifique). Mais qu’on ne trouve qu’une seule langue en Turquie : le turc.

Espérons que cette solidarité à l’idéologie kémaliste n’ira pas jusqu’à interdire le Q, le X et le W, comme en Turquie. Quoique les ados ne seraient peut être pas fâchés de voir la langue de leurs manuels scolaires commencer à ressembler à celle de leurs messages : Ki, Ke pkoi etc…(même si les kentin, kzavier et autres vilfried ne seraient sans doute pas ravis).

Des lettres très subversives, comme le sait le sociologue turc Ismail Besikci qui a déjà passé plus de 20 ans en prison pour avoir refusé de prétendre qu’il ne croyait pas à ce qu’il avait écrit. Il est à nouveau traîné devant les tribunaux pour un article qui ne convient pas à l’idéologie officielle. Et avoir choisi d’orthographier (avec un Q et non un K) Qandil , la montagne kurde où se trouve les principaux camps du PKK, constituerait un élément à charge de son soutien à une organisation terroriste, selon des juges du tribunal d’Istanbul.

Allons bon, Kandil serait une montagne turque, mon Q dirait Zazie, que les juges du tribunal de Diyarbakir ne doivent certainement pas connaître non plus. Avec un nom pareil, Queneau, est sûrement sympathisant d’une organisation terroriste.

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