La visite du Premier ministre grec Costas Karamanlis est importante à tous points de vue. Cependant, ce qui la rend encore plus significative, c’est le courage ainsi manifesté en venant en Turquie. Nous ne devons pas perdre de vue le fait que l’opinion publique grecque se sent toujours menacée par les « Turcs ». Les relations se sont améliorées ces dernières années. Il n’ya plus de crises. L’opinion publique a cessé de nous accuser de tous les maux. Cependant, il demeure une préoccupation sous-jacente, mêlée de suspicion. On peut considérer que c’est pour des raisons justifiées ou non. On pourrait croire que ces doutes et des peurs sont dénués de fondements. Cependant, on ne peut pas effacer ce malaise, profondément enraciné, vis-à-vis des Turcs. Il affleure à la moindre perturbation.
L’adhésion à l’Union européenne et à l’union monétaire n’a pas suffi à dissiper cette crainte que les Grecs éprouvent envers les Turcs. Ce n’est pas aussi intense qu’avant, mais chaque « combat de chiens » entre les avions militaires des deux pays sur la mer Égée, ou la vue d’un navire de pêche turc dans les environs des îles Kardak suffit à susciter ce cri des médias : « les Turcs arrivent ». Bien que la question ne soit pas aussi brûlante qu’elle fut autrefois, elle peut encore exciter les Grecs. Le gouvernement est maintenu sous pression constante et Karamanlis est critiqué pour avoir ouvert les portes de l’UE à la Turquie [en levant le veto grec], sans avoir arraché pour autant aucune concession à Ankara, en particulier sur la question de la mer Égée.
Espoir
Telle est la situation dans le pays dont Karamanlis est le Premier ministre. Il dirige un pays hypersensible. En outre, il a perdu beaucoup de terrain ces dernières élections. Il ne dispose que de deux sièges de majorité au Parlement. D’autre part, l’extrême droite [menée par un transfuge du parti conservateur de M. Karamanlis] a gagné beaucoup de suffrages. Pour eux, la Turquie est toujours le seul ennemi. Ils se comportent comme un taureau face à un chiffon rouge, chaque fois qu’ils entendent le simple mot « Turquie ». Le dernier exemple en date à ce sujet, c’est lorsque des cercles nationalistes se sont mis à vociférer que le Parlement turc considérait l’extension des eaux territoriales grecques à douze milles au-delà des côtes comme un casus belli, et que par conséquent, Karamanlis n’avait rien à faire dans un tel pays.
Le courage de Karamanlis réside dans le fait qu’il a osé venir en Turquie et mettre fin à 49 ans de boycott, malgré une telle opposition.
Karamanlis et le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdoğan ont une relation fondée sur la confiance mutuelle. Erdoğan a même refusé de faire un problème du fait que Caramanlis ait attendu si longtemps pour rendre la pareille, après les visites de deux Premiers ministres turc (Özal en 1988 et Erdoğan en 2004). Il a montré la compréhension à propos de ce retard, n’a pas tourné le dos à son homologue grec, et a toujours cherché à améliorer les relations entre les deux pays.
La Turquie et la Grèce n’ont pas encore atteint le stade où ils peuvent résoudre leurs problèmes bilatéraux. Ni la question de la mer Egée, ni le problème de Chypre ne peuvent être résolus, tant que la Turquie n’est pas membre de l’UE. D’autre part, le succès du duo Erdoğan-Karamanlis provient de leur capacité à faire accepter à leurs concitoyens de vivre avec ces problèmes, sans que de nouvelles tensions n’apparaissent.
C’était un risque pour Karamanlis de venir ici, en dépit de toutes les critiques, car il sait que cette visite officielle ne contribuera significativement à résoudre les deux questions évoquées plus haut. Je suis certain qu’il a pris cette mesure courageuse, car il voulait tenir la promesse à Erdoğan, sans plus tarder. Je voudrais dire « Bienvenue » à Karamanlis pour toutes ces raisons.
Je souhaite que ces visites soient plus fréquentes désormais, et que les dirigeants de ces deux pays se rencontrent plus souvent pour discuter de l’évolution de la situation dans la région. Cependant, nous sommes partis de si loin. Peut-être que les choses vont se simplifier, désormais.