Nicolas Sarkozy a déclaré mardi aux parlementaires de la majorité que le recours au Conseil constitutionnel contre le texte pénalisant la négation du génocide arménien « ne [lui] rend pas service », ont indiqué à l’AFP plusieurs sénateurs UMP.
Le chef de l’Etat a exprimé notamment le risque que si la proposition de loi était annulée, il y ait ensuite un recours contre la pénalisation de la négation de la Shoah, selon les mêmes sources.
Le Conseil constitutionnel a été saisi mardi 31 janvier de deux recours déposés contre le texte pénalisant la négation du génocide arménien : l’un, à l’initiative du groupe RDSE (à majorité radicaux de gauche) au Sénat, est signé par 77 sénateurs ; l’autre, à l’initiative notamment des députés de la Droite populaire Jean-Paul Garraud (UMP, Gironde) et Jacques Myard (UMP, Yvelines), est signé par 65 députés. Or seules 60 signatures sont nécessaires pour pouvoir saisir les Sages.
Ces recours suspendent de fait la promulgation de la loi définitivement adoptée par le Parlement avec un ultime vote du Sénat le 23 janvier. 86 sénateurs avaient voté contre ce texte et 126 pour. 236 sénateurs seulement avaient pris part au vote sur un effectif global de 347 sénateurs (un siège est vacant à la suite d’une invalidation électorale).
Parmi les 77 signatures recueilles au Sénat figurent des sénateurs issus de tous les groupes, y compris du PS et de l’UMP, a indiqué le président du groupe RDSE, Jacques Mézard. Parmi eux, la vice-présidente du Sénat Bariza Khiari (PS), les deux sénateurs socialistes de la Nièvre Gaëtan Gorce et Didier Boulaud, l’ancien président UMP du Sénat Christian Poncelet et l’ancien président de la commission des lois Jean-Jacques Hyest, lui aussi UMP.
La quasi-totalité du Rassemblement démocratique et social européen (RDSE) –dont Jean-Pierre Chevènement et le président du PRG Jean-Michel Baylet– et du groupe écologiste –dont son président Jean-Vincent Placé et la présidente de la commission de la Culture Marie-Christine Blandin– ont également apposé leur signature au bas de la saisine. Chez les centristes de l’Union centriste et républicaine (UCR), on note Jacqueline Gourault (MoDem), présidente de la délégation aux collectivités, et Jean-Léonce Dupont, vice-président du Sénat.
« Je me félicite que les sénateurs aient résisté aux pressions. Ce recours tranchera enfin du sort des lois mémorielles », a réagi Nathalie Goulet (centriste). « Le texte méconnaît, outre l’article 34 de la Constitution [portant sur le domaine de la loi], plusieurs principes fondamentaux du droit parmi lesquels ceux des libertés de communication et d’expression », ainsi que « de légalité des délits et des peines », a argumenté Jacques Mézard.
Deux députés UMP, Eric Straumann et Jean-Philippe Maurer, ont demandé au gouvernement « la mise en œuvre de la procédure accélérée » afin que le Conseil constitutionnel puisse statuer dans un délai de sept jours sur ce recours, qu’ils ont aussi signé.
Un an de prison et 45 000 euros d’amende
Le vote de la loi avait suscité la colère d’Ankara et brouillé les relations franco-turques. Mardi, l’annonce de la saisine du Conseil constitutionnel a aussitôt été saluée par l’ambassade de Turquie à Paris. « Les relations franco-turques vont se détendre. On risquait une rupture. Pour le moment, cette rupture a l’air d’avoir été évitée. Nous attendons maintenant la décision du Conseil constitutionnel », a déclaré le porte-parole Engin Solakoglu.
Déjà adoptée par les députés le 22 décembre, la proposition prévoit un an de prison et 45 000 euros d’amende en cas de contestation ou de minimisation de façon outrancière d’un génocide reconnu par la loi française. Deux génocides, celui des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale et celui des Arméniens, sont reconnus, mais seule la négation du premier était pour l’instant punie.