Adnan Aykut est fier de son équipe de footballeuses. Et il a de quoi en être fier. Actuellement il n’existe que vingt cinq équipes féminines de football en Turquie et avant qu’il ne crée celle d’ Hakkari en avril dernier, il n’y avait qu’une équipe, dans la riche ville de Malatya , dans tout l’Est de la Turquie.
Emine, une des jeunes filles qui participait à l’entraînement ce dernier jour de juillet, effectue sa scolarité au lycée sport études de la capitale des abricots et est licenciée du club de cette ville. Elle me confirme que Berivan, la fille d’une de mes amies, elle aussi membre de l’équipe de Malatya, est une excellente footballeuse.
Des jeunes filles kurdes mordues de football
L’équipe d’Hakkari est sans doute la plus pauvre de Turquie, mais la douzaine de filles qui s’entraînent en cette fin d’après midi dans le cadre magnifique des monts Cîlo sont des mordues. L’équipement de base, shorts, maillots, chaussures, est trop onéreux pour la plupart des familles qui ne peuvent débourser les 40 YTL (22 euros) nécessaires à l’achat d’une paire de chaussures à crampons. Adnan Aykut a payé de sa poche l’équipement de la plupart de ses joueuses. Certaines filles jouent en chaussures de ville. Elles jouent quand même et avec quelle envie de jouer.
L’équipe n’est pas au complet. Ce sont les vacances scolaires et certaines joueuses sont retournées au village. La capitaine et la gardienne des buts font partie des absentes. Cemile, la plus âgée, a 19 ans. Entraîneuse d’athlétisme, c’est une sportive accomplie. Les plus jeunes licenciées ont à peine 12 ans, comme Hatice. Si l’entraîneur a refusé de me dire quelle était la meilleure joueuse - elles sont toutes bonnes - il me la présente en tant que« notre Zidane ». Rarement surnom n’a été aussi bien attribué. Aussi peu prolixe en paroles que le champion franco algérien que tout le monde adule ici, Hatice m’apprend quand même qu’elle est la seule de ses cinq frères et sœurs à être licenciée de football et que c’est dans la cour de l’école primaire que sa passion est née. Mais assurément c’est en faisant danser le ballon avec ses pieds, qu’elle préfère s’exprimer. Et lorsque je lui demande si elle aime le football - question évidemment superflue - le visage de la petite Zidane kurde d’Hakkari s’illumine d’un sourire éblouissant.
C’est parce qu’ils ont une confiance absolue en ce charismatique hoca (maître), président de la fédération de football d’Hakkari, que les parents des jeunes filles acceptent de les lui confier. Il est fréquent que certains d’entre eux viennent assister à l’entraînement de leur fille, mais ce jour-là aucun d’entre eux n’était présent sur le stade. Leurs supporters sont les jeunes étudiants venus s’entraîner pour l’épreuve finale du concours d’entrée à l’université de sport.
« A l’Ouest ils ne nous connaissent pas »
Cela fait vingt cinq ans qu’Aydan Aykut communique sa passion du football aux jeunes sportifs d’ Hakkari. Il a été l’entraîneur des professeurs de sport qui me l’ont présenté et qui se réjouissent que je souhaite transmettre une autre image d’Hakkari. Certes, l’année a été dure. La région est de nouveau sous état d’urgence. La ville est sillonnée de véhicules militaıres. Des hélicopteres transportant des troupes sur les terrains des oprérations la survolent. Après la trêve électorale de l’été dernier, elle a été secouée de violences. Depuis celles qui ont accompagné le dernier Newroz, en février, beaucoup de jeunes ont été arrêtés. Alors que les jeunes filles s’entraînaient sur le stade, tous les magasins étaient fermés dans la ville voisine de Yuksekova pour les funérailles d’un jeune « monté » rejoindre la guérilla du PKK quelques années auparavant. Ils seraient de nouveau nombreux à la rejoindre. La plupart des habitants de la région sont pessimistes. Ils ne voient plus venir de promesses de paix durable. Au lendemain de l’attaque du poste de police de la ville, la nuit du 26 juillet, une jeune fille de Yuksekova me confie sa crainte de voir revenir les jours sombres des années 1995, lorsque son village se déchirait au point de se vider de ses habitants.
Mais ceux qui vivent à Hakkari en ont assez que leurs montagnes se réduisent à n’être que le cadre d’un gigantesque jeu vidéo sur les écrans des télévisions turques « On connaît tous les gens de l’Ouest du pays, parce qu’on est tous allés y travailler un jour, mais eux, ils ne nous connaissent pas, parce qu’ils ne viennent pas jusqu’ici ».
C’est pourtant à Hakkari que grâce à la volonté d’Adnan Aykut, vient de naître une des rares équipes de football féminin de Turquie et nul doute qu’on entendra aussi parler de ces jeunes footballeuses bien au-delà de leurs montagnes de la frontière irako- iranienne.
Hakkari, le 1 août 2008