L’AKP, parti islamo-conservateur au pouvoir en Turquie, est confronté à une procédure d’interdiction en raison « d’activités allant à l’encontre de la laïcité ». Une situation insolite qui menace le pays d’une grave crise politique. L’analyse du quotidien Milliyet.
A la suite de la demande d’interdiction du parti lancée [le 14 mars] par le procureur de la Cour de cassation auprès de la Cour institutionnelle, l’AKP [Parti de la justice et du développement] s’insurge contre le fait que l’on « puisse envisager d’interdire un parti qui est actuellement au pouvoir ». Pourtant, ce n’est pas parce qu’un parti politique est au gouvernement qu’il jouit automatiquement d’une immunité devant les lois. De la même façon, ce n’est pas parce qu’il a réuni presque la moitié des suffrages lors des dernières élections législatives qu’un parti ne doit pas se soumettre à ces mêmes lois. Affirmer le contraire risquerait de conduire le pays vers la dictature de la majorité.
« Un procès contre la volonté populaire » ? Les nazis aussi avaient le soutien du peuple. On a vu ce que cela a donné. « Que va dire l’Europe ? » entend-on souvent. La Cour européenne des droits de l’homme avait approuvé la décision [en 1998] d’interdire le Parti de la prospérité [Refah]. Les risques d’instabilité boursière ? Voilà bien un argument qui ne doit en aucun cas interférer sur le déroulement de la justice. Toutefois, il faut bien admettre que cette procédure d’interdiction de l’AKP porte en elle la marque de la faillite d’un système qui tente d’apporter des solutions juridiques à des problèmes politiques. L’« establishment » tente ainsi de mettre sur pied une « démocratie sans partis ». Dès lors que cela ne peut plus se faire par des élections ou par un coup d’Etat, ce sont apparemment les juges qui sont désormais chargés d’assumer cette tâche.
Cet entêtement se paie toujours très sévèrement sur le plan électoral. En effet, l’électeur a alors le sentiment qu’on a voulu l’empêcher d’exprimer sa volonté ; le parti interdit revient donc ensuite encore plus renforcé. Ce procès s’avère donc une aubaine pour l’AKP qui, sur le plan politique, était confronté à un important mouvement social des travailleurs turcs qui étaient descendus récemment en masse dans la rue pour défendre leurs droits. Si l’on ajoute à cela la fin du soutien apporté à l’AKP par certains intellectuels influents, ainsi que l’attitude hésitante de ce parti vis-à-vis de l’Europe, on comprend encore mieux en quoi ce procès va profiter à l’AKP qui pourra à nouveau se montrer en victime et « incarner la démocratie » lors des prochaines élections municipales [prévues pour 2009]. L’AKP, qui n’avait pipé mot lorsqu’une même procédure d’interdiction avait été lancée contre le DTP [Parti pour une société démocratique, prokurde] se rappelle maintenant les bienfaits de la démocratie. En applaudissant à ce procès, le parti d’opposition [kémaliste] CHP [Parti républicain du peuple] montre, quant à lui, qu’il ne parvient, décidément, à tirer aucune leçon du passé.
Ce sera bien entendu à la Cour constitutionnelle de se prononcer sur le plan juridique. Mais sur le plan politique, l’Histoire a déjà bien montré que l’interdiction d’un parti ne suffisait pas pour en finir avec ses idées et que les branches taillées finissaient toujours par repousser encore plus fortes.