Le compte à rebours a commencé : l’OSS (ögrenci secme sinavi), le concours d’entrée à l’université, se déroule le 15 juin. Ce questionnaire à choix multiples est le cauchemar des jeunes Turcs. Ils y jouent leur avenir en cent quatre-vingts minutes, temps imparti pour répondre à 180 questions.
Cette année, ils seront 1,6 million à se disputer 400 000 places dans l’enseignement supérieur, dont la moitié dans des écoles techniques. Seulement un aspirant étudiant sur dix intégrera donc une université classique. Un sans-faute assure un ticket pour les établissements les plus prestigieux, comme l’université du Bosphore, à Istanbul. Quelques mauvaises réponses, et il ne reste comme choix qu’une faculté de seconde catégorie ou privée, que seules les familles aisées peuvent s’offrir.
Pour améliorer leur performance lors de ce test ultrasélectif, les lycéens passent tous leurs week-ends dans des dershane, des « maisons de leçons » qui préparent à l’OSS. Le marché est florissant en Turquie : on en recense 4 000, fréquentées par 200 000 étudiants. Le coût de la préparation annuelle va de 600 euros (deux mois de salaire minimum) à 6 000 euros. « Le chiffre d’affaires de l’ensemble des dershane est d’environ 2 milliards d’euros, sans compter les très nombreuses écoles non déclarées », estime Ibrahim Tasel, directeur et fondateur de Final. Avec son réseau de 204 classes préparatoires à travers le pays, il est le leader du secteur. L’an dernier, près de la moitié des 6 000 premiers à l’OSS avaient été entraînés par Final. La compétition entre les dershane est acharnée. « Chez nous, 10 % des effectifs ne paient pas, explique Ibrahim Tasel. Il s’agit des bons élèves, qui obtiennent les meilleurs résultats au concours. » Et qui assurent la promotion de Final.
Un système jugé inégalitaire
Le nombre insuffisant d’universités en Turquie entretient ce système éducatif parallèle et conduit à la sélection par l’argent. Même la Banque mondiale s’en est inquiétée dans un rapport : « L’OSS est générateur de profondes inégalités. Cet examen a des conséquences dramatiques pour ceux qui échouent. » Il soumet également les étudiants à des rythmes infernaux. « Le stress est énorme, je n’ai aucune vie sociale, raconte Anil Kadiroglu, 19 ans, qui espère obtenir suffisamment de points pour décrocher une place dans une faculté de communication. Nos parents ont consenti d’énormes sacrifices et misent tout sur nous. » Les détracteurs de l’OSS dénoncent un autre effet pervers : si le test réclame de la rapidité et des réflexes, il n’est pas fondé sur la réflexion. « Un élève turc a une capacité de mémoire phénoménale, mais il suffit de changer l’énoncé d’un problème, en remplaçant, par exemple, un robinet par une rivière, pour qu’il soit perdu », déplore un professeur de mathématiques.