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Turquie : opération « profonde » contre le parti kurde

lundi 20 avril 2009, par Marillac, Oral Çalışlar

Ce sont 51 personnes dont 3 vice-présidents du Parti pour une Société Démocratique [DTP, pro-kurde] qui hier ont été mises en examen hier pour une instruction liée au PKK, Parti des Travailleurs du Kurdistan [PKK, mouvement en lutte armée et terroriste contre Ankara depuis 1984].

L’une des conséquences majeures des élections locales et municipales du 29 mars dernier fut la promotion du DTP, ce parti jouant sur la reconnaissance de l’identité kurde, comme premier parti des régions majoritairement peuplées de Kurdes. Il est apparu que par ce vote, les Kurdes ont souhaité directement répondre au Premier ministre Tayyip Erdoğan qui avait accusé ce parti « de faire de la politique fondée sur l’identité » : voilà, ont-ils laissé entendre, voilà pour qui, nous, nous votons.

Le DTP est le mouvement aujourd’hui le plus puissant des mouvements revendiquant une motivation identitaire.
Les membres de ce parti ont déjà déclaré, à de multiples reprises, que leur socle électoral était le même que celui du PKK, et qu’ils tiraient leur principal soutien d’une population pour qui l’action du PKK revêtait un sens particulier. Le PKK agit dans « le maquis ». En ville et à découvert, le représentant le plus actif et le plus influent des demandes identitaires des Kurdes est sans conteste le DTP. Et d’ailleurs si l’on se pose la question d’une solution dans ce problème kurde, cette parenté par la base du DTP et du PKK peut être vue comme une opportunité.

Il semble que la dernière opération en date menée contre le DTP soit destinée à prouver la présence du PKK au sein du DTP. On suit ici une voie qu’on a rarement suivie (pour la bonne raison qu’une fois lancée une telle instruction, nous risquons de nous confronter à un tableau des plus complexes).

Qui peut prétendre aujourd’hui que les voies du DTP aux dernières élections sont totalement indépendantes du PKK ? Et que cherche-t-on donc à faire ? Qu’adviendra-t-il après ces opérations policières ? L’influence du PKK sur la région sera-t-elle amenée à refluer ?

Lorsque vous regardez le DTP, vous vous rendez compte que la colère est en train de monter. Les membres du DTP sont persuadés que par cette furia d’arrestations, on ne vise pas le PKK mais bien leur propre parti. Ils font preuve de vives réactions. Et bien évidemment, ces actions de police sont propres à renforcer encore le pouvoir de ceux qui, parmi les Kurdes, sont partisans de la violence.

***

Avec la mise en examen du président départemental de ce parti sur Istanbul ainsi qu’avec l’irruption de la police dans les bureaux de la fédération de ce parti dans la même ville, il semble même que ces opérations soient dirigées contre l’existence même du DTP. Ce n’est pas une chose que nous ignorons. Depuis plus de 20 ans, les partis politiques axés sur la défense de l’identité kurde ont été fermés. Leurs dirigeants arrêtés. D’autres disparus ou victimes d’assassinats non élucidés. Et il devient de plus en plus évident aujourd’hui que la plupart de ces meurtres furent le fait de certaines forces obscures au sein de l’appareil d’Etat.

Mais à quoi tout cela a-t-il pu servir ? A-t-on fait cesser les actions du PKK ? A-t-on progressé sur la voie de la réconciliation et de l’unité dans le Sud-Est de la Turquie ? Les Kurdes ont-ils renoncé à leurs revendications identitaires ? Ont-ils renoncé à fonder leurs propres partis politiques ? Et ces mouvements politiques fondés sur la reconnaissance de l’identité kurde ont-ils disparu de notre espace politique ?

Le DTP est représenté à l’assemblée par 21 députés. Si aujourd’hui avaient lieu des élections législatives, il est certain que ce nombre serait encore plus élevé. Confrontés à une politique de pression dirigée contre leurs revendications identitaires, les Kurdes choisissent de répondre par la manifestation évidente de leur opiniâtreté en la matière.

Mais que cherche dont à faire l’Etat ou cette mentalité qui en oriente les décisions et les démarches ? Souhaite-t-il donc faire fermer le DTP en mettant à l’ordre du jour une collusion entre le PKK et le DTP, collusion que tout le monde suppute ou même reconnaît ?

Agit-il encore selon l’idée que presque tout le monde trouve erronée et qui consiste à dire que si l’on ferme le DTP alors on règlera bien mieux la question kurde ? Qui sera donc l’interlocuteur si l’on ferme le DTP ? Se pose-t-on cette question ?

Il est certain que la Turquie, sur cette question kurde, a plus que jamais besoin « de raison démocratique ». Toutes ces opérations dissimulées aujourd’hui par le bruit médiatique des dernières évolutions de l’affaire Ergenekon nous conduisent tout droit à une impasse dans le Sud-Est de la Turquie. Cette approche tant tentée par le passé, approche vaine et antidémocratique, est à nouveau remise sur le tapis : c’est une véritable déception.

La voie qui nous permettra de priver la violence de sa souveraineté dans cette question ne peut pas passer par autre chose qu’une démocratisation du contexte politique. Si l’on renforce encore la pression sur les revendications identitaires des Kurdes, on empêchera les Kurdes de se poser la question de la violence. Il n’y a que dans un cadre démocratique que les Kurdes peuvent trouver les moyens de tracer une frontière entre eux et les tendances à la violence qui peuvent les traverser.

Il ne faut pas être devin pour savoir qu’un environnement oppressant ne servira qu’à renforcer les partisans de la violence parmi les Kurdes. C’est toujours ce qu’il s’est passé en Turquie. La violence d’Etat a appelé la violence des Kurdes. L’a renforcée. La raison principale qui a conduit à faire du PKK un mouvement de masse, c’est directement la violence du régime qui a suivi le coup d’Etat du 12 septembre 1980.

Il n’est toujours pas possible de comprendre la logique sous-jacente aux opérations actuelles menées contre le DTP.

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Sources

Source : Radikal, le 19/04/2009

- Traduction pour TE : Marillac

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