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Turquie : la laïcité divise le pays

vendredi 14 mars 2008, par François Cardona

Les cours de religion, obligatoires à l’école, sont désormais « contraires à la loi ». C’est le jugement rendu ce lundi par le Conseil d’Etat turc. Cette décision favorise des minorités religieuses turques, comme les Alevis, mais il intervient alors que la polémique autour du voile islamique dans les universités continue de diviser la société. La question de la laïcité crée des remous dans ce pays peuplé majoritairement de musulmans sunnites, pays soumis aux pressions de l’Union Européenne.

Les cours de religion et de morale à l’école sont contraires à la loi » et les « rendre obligatoires (…) constitue une contradiction avec les lois ». La décision, adoptée ce lundi à l’unanimité par le Conseil d’Etat turc, est sans appel. Et elle donne raison à un père de famille qui, en 2005, avait demandé que son enfant, à l’époque à l’école primaire, soit exempté de cours de religion. Cet enseignement est obligatoire en Turquie, or la plupart des manuels donne la part belle aux préceptes sunnites, la branche principale de l’islam – majoritaire en Turquie.

Cette inégalité de traitement dans l’enseignement scolaire défavorise les minorités religieuses, musulmanes ou non. Parmi elles, les Alevis qui représentent un cinquième de la population turque. Cette communauté musulmane modérée constitue la branche turque des Alaouites et le culte que ses adeptes vouent à Ali, gendre du prophète Mahomet, en a fait des hérétiques aux yeux des sunnites, coupables de nombreuses discriminations. De nombreuses familles alevis avaient donc saisi la justice turque ou signé des pétitions pour exiger l’abolition des cours de religion à l’école. La Cour européenne des droits de l’homme avait également été saisie. Le Conseil d’Etat turc leur a finalement donné raison.

« Rattrapez le temps perdu ! »

Ce jugement intervient alors que, à de nombreuses reprises ces derniers mois, l’Union européenne a appelé la Turquie à œuvrer davantage en faveur du droit des minorités religieuses. C’est une des conditions posées par l’UE à Ankara pour que le pays poursuive son processus d’adhésion à l’Europe des 27.

Ce dimanche, plus de cent intellectuels turcs avaient lancé un appel au gouvernement pour qu’il relance les réformes politiques et le dialogue avec l’UE. Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan est de plus en plus critiqué pour avoir ralenti les réformes dont le rythme soutenu, il y a trois ans, avait permis à la Turquie d’ouvrir des négociations avec l’UE. « Nous attendons que vous preniez des mesures concrètes et que vous rattrapiez le temps perdu », ont demandé les intellectuels.

Minorités religieuses discriminées

En 2007, le parti au pouvoir, l’AKP (Parti de la justice et du développement – issu de la mouvance islamiste) auquel appartiennent le Premier ministre et le président Abdullah Gül, a quelque peu délaissé l’UE pour se consacrer aux récents enjeux électoraux. Jusqu’à cette décision du Conseil d’Etat ce lundi, une seule loi améliorant les droits des minorités religieuses avait été adoptée. Promulgué le 26 février dernier par le président de la République, le texte visait à étendre les droits de propriétés des petites communautés chrétiennes (principalement grecques-orthodoxes et arméniennes) et juives. Il leur permet désormais de récupérer certains de leurs biens saisis par l’Etat en 1974.

L’affaire du voile

Néanmoins, si cette loi est venue améliorer la situation des minorités religieuses, un autre texte soutenu par l’AKP a suscité une immense polémique en Turquie. Le 9 février dernier, le Parlement turc a en effet approuvé, à une écrasante majorité, l’autorisation du port du voile islamique dans les universités turques. Cette décision a provoqué la colère des partisans d’une stricte laïcité, héritage du fondateur de la République turque Mustafa Kemal Atatürk et dont l’armée s’est fait la garante.

Cette fois-ci, les généraux ont décidé de garder le silence. Mais la magistrature et les recteurs d’université, autres remparts contre les atteintes à la laïcité, ont haussé le ton et se sont insurgés contre cette réforme qu’ils jugent « anticonstitutionnelle ».

Leur fronde a fait boule de neige. En une dizaine de jours, deux manifestations rassemblant chacune plus de 100 000 personnes ont eu lieu dans les rues d’Ankara. Depuis, la confusion règne dans les universités. Les recteurs ont en effet adopté des attitudes différentes : certains acceptent le voile, d’autres non. D’autant que la loi ne définit pas clairement le terme de voile. Est-ce un simple foulard ou une burka intégrale ? L’incertitude règne, la polémique enfle. Et le débat sur la laïcité continue d’agiter la société turque.

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Sources

Article original publié le 4 mars 2008 sur le site internet de RFI sous le titre Turquie : la laïcité divise le pays

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