Deux années ont passé. Depuis. Je reçus un coup de fil. Me rendrais-je aux locaux de l’association Lambda ? Les travestis et les transsexuels travailleurs de sexe étaient alors soumis à une forte pression. A Ankara, on forçait la porte de leurs domiciles. A Istanbul, la main de la police tendait à devenir de plus en plus lourde. Leurs vies alors difficiles et soumises à toutes sortes d’oppression étaient rendues encore plus invivables. Allais-je y aller ?
J’irais.
Lambda : une association dans le quartier de Beyoglu. En tentative d’existence. Ils n’ont pas d’argent. Une association pauvre, vivant pour l’honneur, pourrions-nous dire. Elle ne s’appuie que sur les cotisations de ses membres. Ce sont Bawer et Mehmet qui se sont alors présentés à moi.
Mehmet ? Mehmet Tarhan ! C’est-à-dire l’objecteur de conscience à l’origine de mon article intitulé « l’objection de conscience : droit fondamental ». A l’origine de la procédure de justice qui devait suivre en « vertu » de l’article 318. A l’origine de mon procès auquel devait assister Oktay Yildirim, le même personnage qui serait appréhendé un peu plus tard avec tout un arsenal lors de la descente de police dans la quartier ankariote d’Ümraniye [dans le cadre de l’affaire Ergenekon, NdT]. Motif de sa présence : « spécialiste du Moyen – Orient ».
Je suis aujourd’hui à nouveau jugée pour un autre article intitulé « l’objection de conscience aujourd’hui », toujours sur la base du même article 318. Yildirim Türker également. [Homme de lettres, chroniqueur, universitaire, opposant démocrate et homosexuel « notoire » en Turquie, NdT]
Et puis Bülent Ersoy désormais [Chanteuse transsexuelle mise en cause et sous le coup d’un procédure judiciaire pour avoir osé dire qu’elle préférait la solution à la mort pour ce qui est de la question kurde, NdT]
L’Etat ne se rassasie donc toujours pas de juger (enfin c’est ce qu’on comprend) les gens pour un motif aussi émotionnel, confus, au-delà de toute définition, voire métaphysique que celui de « REFROIDIR LE PEUPLE A L’ENDROIT DE LA CHOSE ET DU DEVOIR MILITAIRES. »
Enfin, bref. J’ai ce jour-là dans les locaux de Lambda fait la connaissance de Bawer et de Mehmet, mon héros. Deux jeunes bien et fort sympathiques.
Faut-il en Turquie qu’il y ait une association des Gays ou non ? Vous en vouliez une de question test pour la démocratie ? He bien en voilà une.
Et voilà qu’aujourd’hui on cherche à fermer cette association sous prétexte (un prétexte avancé et construit par la préfecture d’Istanbul) que « les statuts de cette association sont contraires au droit et à la morale ».
Chaque Turc naît soldat (art : 318).
Des Turcs, pas des gays (Lamda : fermeture).
Tous ceux qui ne se conforment pas à l’idéologie identitaire turque jalouse d’un statut de race supérieure sont alors déférés devant le Juge turc.
De nos jours, l’ultime et seule garantie de pouvoir jamais vivre comme une race supérieure est encore la magistrature.
Et la seule et intègre association homosexuelle de Turquie paraît encore de trop à ce système. Maintenant que le jugement est rendu, la parole est à la Cour… De Cassation.
Je complète le communiqué de presse de l’association : le 29 mai 2008, un tribunal rendait une décision de fermeture de l’association Lambda Istanbul. La suite de la procédure relève désormais de la Cour de Cassation. Et tant que le juge suprême n’aura pas statué l’association continuera d’exister.
Lambda existe depuis 1993 à Istanbul. Elle s’est constituée en association depuis 2006. Et la préfecture d’Istanbul en a référé au Parquet pour fermeture au motif de statuts contraires au droit et à la morale publique.
Le procureur de la République a refusé d’examiner la requête en vue d’une fermeture dans le cadre du principe général de liberté d’association. Non satisfaite, la préfecture a alors décidé de porter l’affaire devant un tribunal. Lancé en juillet 2007, le procès en était arrivé à sa sixième séance lorsque le 29 mai dernier, dans l’enceinte du palais de Justice de Beyoglu (Istanbul), la décision de fermeture fut prise à l’encontre de l’avis émis par un expert.
Ce que nous comprenons de cette affaire, c’est que l’on essaye en Turquie de pousser une association à l’existence aussi légale et réelle que les associations de gays et lesbiennes en dehors des voies de la légalité. L’ordre social dans ce pays, au lieu de chercher à solutionner les contradictions qui le traversent, se borne à condamner les identités et les personnalités sur qui s’exacerbent ces mêmes contradictions.
De la sorte, tous ceux qui se vantent de préserver l’ordre social font la preuve manifeste de ce qu’il leur est bien plus profitable de laisser gays, lesbiennes et transsexuels poursuivre ainsi leurs existences sous le joug de toutes les exploitations.
Quant à nous, conscients de la nécessité d’efforts prolongés pour parvenir à élargir et assurer le socle légitime de toute lutte pour les droits, nous poursuivrons tous nos efforts dans le sens d’élargir l’assise de notre combat sur la base d’une reconnaissance légale.