« Daha sensiz geçecek kaç günümüz var bilmiyorum ama bu gün sensizliğin 1’nci ayı meleğim.... ».
Ümit Eser, jeudi 7 janvier 2009
J’ai reçu il y a quelque jours une invitation à un groupe du réseau Facebook rendant hommage à une jeune fille de 17 ans, Serap Eser, qui nous a quittés en plein mois de décembre, suite à une attaque terroriste du PKK au cocktail Molotov contre le bus dans lequel elle se trouvait.
Il n’est pas dans mon habitude de commenter les faits divers, je ne sais que trop comment nombre de personnes malintentionnées peuvent se servir d’éléments tragiques à des fins politiques, religieuses, voire commerciales ; comment on peut se servir de la douleur des personnes pour attiser les communautés entre elles.
C’est pourquoi d’ailleurs, par ces quelques modestes lignes, je veux ici rendre hommage à Ümit Eser qui a ouvert ce groupe Facebook avec son frère Selçuk, qui explique clairement que tous les liens politiques, religieux, ou faisant appel à la haine raciale seront automatiquement supprimés.
En regardant sur ce groupe les photos de Serap laissés par ces frères, j’ai vu une jeune fille pleine de vie, souriante, heureuse… et je n’ai pu évidemment pas m’empêcher de penser à mes deux petites sœurs. Que ça aurait pu être elles dans ce bus, ou même moi… en touristes… J’ai pensé à Ümit que je ne connaissais pas, à sa détresse, à la douleur qu’il devait ressentir, à ce terrible sentiment d’impuissance qui l’accompagne aussi… A ce groupe qu’il avait ouvert pour que personne n’oublie sa petite sœur, comme certainement beaucoup d’entre nous aurions fait à sa place… et j’ai été pris d’un profond malaise, d’une tristesse immense, j’ai eu, et j’ai encore en pensant à Serap… tout simplement mal.
J’ai laissé un petit mot, maladroit, de condoléances venues de France sur le groupe. Et malgré la douleur, avec délicatesse, Ümit m’a répondu, certainement surpris de voir un Français venir lui dire en turc qu’il était touché. Il m’a envoyé les coupures de presse en turc et en anglais pour que je puisse les lire…
Et une foule de chose s’est alors précipitée en moi. J’ai pensé à ce poème écrit par Nazim Hikmet en souvenir d’Hiroshima, intitulé « La fillette », et qui termine par ses vers « C’est moi qui sonne aux portes / Madame, Monsieur, signez donc / Pour qu’on ne tue plus les enfants, / Qu’ils puissent manger des bonbons. » Et je me suis dit que les poètes sont bien impuissants devant la bêtise et la méchanceté des hommes. J’ai pensé aussi à ce poème de William H. Auden, « Funeral Blues », que l’on peut entendre dans le film Quatre mariages et un enterrement et résume parfaitement l’état d’esprit dans lequel on est lorsque l’on vient de perdre un être cher. Et mon esprit est retourné là-bas, à Istanbul, dans cette ville de 13 millions d’habitants qui ne dorment jamais, que j’aime démesurément, où se retrouve seule dans la détresse toute une famille… cette ville qui chaque jour, à la simple évocation de son nom illumine mon cœur, et qui brutalement, n’arrivait plus à le réchauffer…
J’ai donc écrit ce modeste poème, pensant que c’est la seule chose que je pouvais faire, et que c’était déjà pas grand-chose, même trois fois rien… pour manifester de par-delà les mers, toute ma fraternité à Ümit et à sa famille. Qu’ils sachent qu’ici aussi le souvenir de Serap brille dans la nuit d’hiver. Je lui ai envoyé timidement… et Ümit m’a répondu pour me dire que son frère et lui avaient été très touchés, qu’il voulait l’envoyer à la presse. Puis nous nous sommes parlé au téléphone. Ce fut pour moi un moment d’une intense émotion.
Je veux dire que j’aurais écrit ce poème si Serap avait été kurde, iranienne, chinoise, colombienne ou sénégalaise. Car rien, absolument rien au monde, aucune idée, aucune terre, ne vaut que l’on brûle un bus dans lequel se trouve une jeune fille de 17 ans qui ne demande qu’à aimer la vie, et à la vivre à pleines dents.
Voici donc pour toi Ümit et pour les tiens, fraternellement, mon modeste poème. Le voici surtout pour toi Serap, puisque maintenant ton souvenir a traversé l’Europe et qu’il vient brûler dans nos cœurs de Français…
For Ümit Eser & his family, in remembrance of their sister and daughter... Kardeslikle...
En souvenir de Serap Eser,
Noire la Mosquée bleue, noire Sultan Ahmet,
Noir le pont du Bosphore, et noir Dolmabahçe ;
Ce soir les cieux pleurent sur la ville des poètes :
Des larmes noires inondent Kartal, Fenerbahçe,
Kız Kulesi, Üsküdar, Büyükçekmece…
Noires les « yalı », noirs les « vapurs », noires leurs fumées !
Noir le pont de Galata, noirs ses pêcheurs figés !
Ce soir la nuit d’hiver semble tout inhumer,
Son sang noir coule glacé dans nos cœurs affligés.
Ce soir la nuit emporte tout sur son trajet.
Noires les écoles, les maîtres, les écoliers,
Noir le tableau, les craies… le bus ensanglanté…
Ce soir une famille souffre pour le monde entier,
Notre petite sœur à tous ne boira plus de thé,
Elle n’ira pas non plus à l’université…
Nous n’oublierons jamais son poème : ce visage
Qui brûle en nous comme les vers de Nazim Hikmet ;
Qu’il tremble dans nos mémoires ses sourires en mirages !
Rappelons-nous Serap puisqu’on oublie les poètes,
Qu’aucune idée au monde ne tue plus de fillettes.
Samedi 26 décembre 2009
Serap Eser anısına,
Siyah Ayasofya Camii, Siyah Sultan Ahmet,
Siyah Boğaz köprüsü, ve Siyah Dolmabahçe ;
Bu akşam gökler şairler şehrinin üzerinde ağlamakta :
Siyah göz yaşları Kartal’ı, Fenerbahçe’yi,
Kız Kulesi’ni, Üsküdar’ı, Büyükçekmece’yi…’yi kaplamakta
Yalılar Siyah, vapurlar Siyah, dumanlar Siyah !
Galata köprüsü Siyah, donmuş balıkçıları Siyah !
Bu akşam kış akşamı her şeyi gömmüş gibi,
Donmuş olan Siyah kanı kederli kalplerimizde akmakta.
Bu akşam gece, yoluna çıkan her şeyi götürmekte.
Siyah okullar, öğretmenler, öğrenciler,
Siyah tablo, tebeşirler … kana bulanmış otobüs…
Bu akşam bir aile tüm dünya adına acı çekmekte,
Hepimizin kız kardeşi artık çay içemeyecek,
ve hatta üniversiteye de gitmeyecek …
Nazim Hikmet’in dizeleri gibi içimizi yakan ;
Onun “Bu yüz” adlı şiirini hiçbir zaman unutmayacağız.
Bu Seraplı gülüşleri hafızamızda titretsin !
Mademki şairleri unutuyoruz, Serap’ı hatırlayalım,
Dünyadaki hiçbir fikir küçük kızları bir kere daha öldürmesin.
Cumartesi, 26 Aralık 2009
Ceviri : Melek Karaagaç