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Turquie : Abdullah Gül ramène la réforme constitutionnelle au premier plan de l’actualité

vendredi 14 mai 2010, par Jean Marcou

En confirmant, le 12 mai 2010, la réforme constitutionnelle qui a été adoptée par le parlement récemment, et en la soumettant à référendum, le président Gül a ramené la vie politique turque sur un terrain plus conventionnel que celui qui a fait la une, ces derniers jours, suite à l’affaire Deniz Baykal. Pour autant, cet enjeu est de taille et les scénarios possibles sont multiples et complexes.

La confirmation de la réforme par le président de la République doit conduire, comme l’on sait, à la tenue d’un référendum. Sa publication au Journal officiel, qui doit intervenir ce matin, ouvre néanmoins un délai de dix jours pendant lequel un recours devant la Cour constitutionnelle peut être effectué. Or, dès l’annonce de la confirmation présidentielle, Mustafa Özyürek, l’un des responsables du CHP, a déclaré que son parti lancerait certainement une telle procédure. Pour ce faire, il faudra que le CHP ait l’appui de 110 députés au parlement. Il est probable qu’avec l’appui du DSP (Demokratik Sol Partisi – Parti démocratique de gauche, une petite formation politique créée par Bülent Ecevit qui dispose d’une dizaine de parlementaires), il remplira cette condition et saisira la Cour. Cette perspective n’est pas nouvelle, car le CHP, qui n’a cessé de combattre le projet gouvernemental de révision constitutionnelle, avait aussi fait connaître ses intentions. Mais l’affaire Baykal, qui secoue le principal parti d’opposition, est venue sensiblement compliquer la donne, ces derniers jours.

Pour envisager les scénarios possibles, on doit d’abord revenir sur les compétences de la Cour constitutionnelle en la matière, et s’interroger sur les intentions de celle-ci. La Cour constitutionnelle n’est théoriquement compétente que pour exercer un contrôle formel de la réforme. Au terme de la Constitution, en effet, elle ne peut procéder à un contrôle de fond. Toutefois, en juin 2008, la Cour avait annulé la révision levant l’interdiction du voile dans les universités, en se prononçant véritablement sur son objet. Les juges constitutionnels avaient justifié leur décision en expliquant que cette réforme levant l’interdiction du voile violait des principes fondamentaux intangibles de la République (notamment le principe de laïcité) inscrits dans les 3 premiers articles de la Constitution, et que, dès lors que ces principes étaient menacés, la Cour se devait d’intervenir. C’est sur cette jurisprudence que la Haute juridiction pourrait s’appuyer (en invoquant la violation par la réforme du principe de séparation des pouvoirs) pour justifier une appréciation sur le fond, qui aurait toutes les chances d’aboutir à une annulation. Eu égard, à ces compétences de la Cour constitutionnelle et à son éventuel comportement radical, plusieurs scénarios sont possibles.

Si la réforme est annulée, empêchant la tenue du référendum, l’AKP pourrait réagir en ripostant à ce qu’elle ne manquerait pas de qualifier de nouveau coup d’Etat de la « juristocratie », par la tenue d’élections anticipées. Après 3 ans de conflits opposant le gouvernement aux organes supérieurs du pouvoir judiciaire (Cour de cassation, Conseil d’Etat, Cour constitutionnelle, Conseil supérieur de la magistrature) et à l’opposition laïque (CHP notamment), ces élections anticipées constitueraient une sorte d’épreuve de vérité. On voit donc que, du fait de la dimension politique de l’enjeu, la saisine de la Cour revêtira plus que jamais une importance particulière et que les pressions qui s’exerceront sur la Haute juridiction risquent d’être à nouveau très fortes.

Si, en revanche, la réforme n’est pas annulée, le référendum se tiendra. Dans ce cas, plusieurs scénarios sont possibles. Si le référendum est positif, on peut penser que le gouvernement, satisfait de ce résultat, pourra alors préparer sereinement les prochaines élections législatives, prévues pour juillet 2011. Toutefois, eu égard à la situation ambiante et notamment aux difficultés que traverse le CHP, suite aux déboires de son leader, l’AKP pourrait essayer de tirer parti de son avantage, en confirmant son succès référendaire par un nouveau succès électoral obtenu lors d’élections générales anticipées. De la même façon, des législatives anticipées pourrait être convoquées par le gouvernement, si le référendum débouchait sur un résultat négatif, l’AKP préférant immédiatement s’assurer un score possible de 40%, plutôt que de prendre le risque de laisser se dégrader son influence en attendant le terme électoral officiellement prévu.

En tout état de cause, on a plutôt l’impression qu’aujourd’hui l’AKP se trouve en position de force et qu’en dépit des événements récents et rocambolesques, qui ont bouleversé les ultimes développements de l’actualité turque, la formation gouvernementale peut voir venir…

JM

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Sources

Source : Ovipot, le 13.05.10

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