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La crise de la flottille renforce la position politique de Recep Tayyip Erdoğan

lundi 7 juin 2010, par Jean Marcou

Près d’une semaine après l’assaut des commandos de marine israéliens, qui a fait officiellement 9 morts (8 citoyens turcs et 1 ayant aussi la nationalité américaine), les commentaires vont bon train, tant sur le déroulement de l’affaire en elle-même, que sur ses conséquences politiques en Turquie.

A bien des égards, le gouvernement de l’AKP sort renforcé de cette épreuve. La Turquie, en effet, a tenu les devants de la scène internationale, face à des Occidentaux gênés par leurs condamnations à reculons de l’attaque israélienne. Mais, plus que la dimension internationale de cette affaire, ce sont ses conséquences internes qui sont désormais observées. Selon Michel Sailhan, directeur du bureau de l’AFP à Istanbul, le parti majoritaire et son leader sont les premiers bénéficiaires de l’opération après plusieurs jours de mobilisation populaire, au cours desquels se sont exprimés successivement la colère pendant des manifestations anti-israéliennes, l’émotion au moment du retour des passagers des navires arraisonnés, la dévotion et le recueillement à l’occasion des prières et cérémonies mortuaires.

En se faisant le champion de la cause palestinienne par les condamnations sans nuance qu’il a adressées à l’Etat hébreu, Recep Tayyip Erdoğan s’est aussi présenté en défenseur des Turcs, en l’occurrence assassinés ou maltraités, unissant ainsi dans un même mouvement des sentiments de solidarité religieuse et des réactions de fierté nationale. Tout cela devrait être payant lors des échéances politiques à venir, estiment nombre d’experts. Car, l’affaire de la flottille a éclipsé pour un temps le renouveau en cours du CHP et l’avènement de Kemal Kılıçdaroğlu et, même si elle a permis aussi la mobilisation des islamistes du Saadet Partisi, ces derniers se sont retrouvés pris dans un mouvement bien maîtrisé par le parti majoritaire et le gouvernement. Certains éditorialistes, comme Mehmet Ali Birant, font observer que « cette opération sur Gaza s’est faite avec l’accord tacite du ministère turc des affaires étrangères ». D’autres s’interrogent sur les liens étroits existant entre le parti au pouvoir et IHH (Insan Hak Hürriyetleri Yardım Vakfı – Fondation d’aide pour les droits et libertés des êtes humains), l’organisation humanitaire musulmane qui a affrété les navires arraisonnés.

Après l’unanimité qui a marqué la réprobation des premiers jours, un certain nombre de voix dissonantes ont commencé à se faire entendre plus distinctement. Des militants d’ONG laïques, ayant participé à la flottille, ont critiqué le tour trop religieux pris par cette campagne, tandis que de nombreux commentateurs se sont étonnés des risques qu’IHH a fait prendre à ses membres et à ses sympathisants. L’organisation se défend en expliquant que nul ne pouvait prévoir une telle réaction des Israéliens. Il est vrai que l’importance du nombre des victimes, le fait qu’elles aient été criblées de balles et qu’une partie d’entre elles aient été abattues à bout portant (ce qu’a révélé le rapport d’autopsie publié par les autorités turques) témoignent de la violence extrême de l’assaut qui a été donné au « Mavi Marmara ». Toutefois, eu égard à l’intervention militaire israélienne « plomb durci » à Gaza et au rapport international dont cette opération avait fait l’objet, on pouvait s’attendre à ce que la riposte israélienne contre la flottille soit particulièrement dure. Lors du débat qui a précédé le vote à l’unanimité par le Parlement turc d’une condamnation de l’assaut israélien, des députés du CHP ont accusé le gouvernement de n’avoir pas assez veillé à la protection de ses concitoyens.

Mais toutes les critiques ne sont pas venues que de l’opposition laïque. S’exprimant pour la première fois publiquement sur l’événement, Fetullah Gülen, après avoir dénoncé l’attaque israélienne, a critiqué lui aussi le rôle joué par IHH. Dans une interview au Wall Street Journal, le 4 juin, le célèbre prédicateur turc en exil volontaire aux Etats-Unis, a déclaré qu’il n’avait entendu parler qu’il y a peu de l’initiative prise par IHH et estimé que cette fondation aurait du veiller à obtenir l’aval des autorités israéliennes pour effectuer une telle mission. Cette déclaration montre qu’il y a probablement sur l’affaire de la flottille, au sein même de la mouvance AKP, une différence de point de vue, qui affecte peut-être même les derniers développements de la politique internationale et notamment le tour qu’ont pris ces dernières semaines les relations turco-américaines, sur le dossier nucléaire iranien. Même si le président Gül, réputé proche de Gülen, a réagi pour condamner l’assaut israélien et dire que les liens entre la Turquie et Israël « ne seraient plus jamais les mêmes », on observe qu’il a été très largement éclipsé ces dernières semaines par « l’hyperactivisme » du premier ministre, tant sur le nucléaire iranien que sur l’affaire de la flottille.

La dernière réaction qui mérite d’être relevée est celle des Kurdes du BDP. Parlant à l’issue d’une manifestation qui a rassemblé 25 000 personnes, le 3 juin, à Mersin, la députée du BDP, Emine Ayna, a estimé que, dans l’affaire de la flottille, le gouvernement n’avait pas été capable de protéger les personnes engagées. Répondant au rapprochement effectué ces derniers jours par la presse entre l’assaut israélien du « Mavi Marmara » et l’attaque du PKK contre une base navale turque près d’Iskenderun, elle a déclaré : « Souvenez-vous qu’à Davos, le premier ministre turc a dit « one minute ! » (au président israélien pour les Palestiniens qui sont tués), nous nous disons aussi « one minute ! » au premier ministre pour les Kurdes qui sont tués avec des armes israéliennes »

En tout état de cause, les dossiers en cours de la vie politique turque devraient reprendre leurs droits dans les prochains jours, au moment où la Cour constitutionnelle va décider du sort de la révision constitutionnelle lancé par le gouvernement, qui doit faire l’objet d’un référendum au mois de septembre. C’est alors, qu’une fois les réactions à chaud surmontées, on pourra réellement mesurer les effets qu’a pu produire l’affaire de la flottille sur l’opinion publique turque.

JM

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Sources

Source : Ovipot, le 05.06.10

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