Dans le cadre de l’opération policière contre le KCK (Union des communautés du Kurdistan), la police turque a arrêté le 28 octobre 2011 à Istabul, Ragip Zarakolu, proéminent défenseur des droits de l’Homme et directeur de la maison d’édition Belge. Zarakolu est également président du Comité de liberté de publication de l’Association des éditeurs de Turquie.
Son fils, Deniz Zarakolu, éditeur de la Maison d’édition Belge, avait déjà été mis en état d’arrestation le 4 octobre 2011 à Istanbul.
La Maison d’édition Belge a publié plusieurs livres sur l’oppression des minorités nationales de Turquie et sur le génocide des Arméniens.
(La biographie de Zarakolu en anglais se trouve ci-dessous.)
Le même jour, dans le cadre de la même opération policière, la professeure Büşra Ersanlı, experte en droit constitutionnel et membre du Parti pour la paix et la démocratie (BDP), a été arrêtée avec des dizaines d’opposants kurdes.
Les arrestations massives visant ce parti pro-kurde se poursuivent de façon frénétique. La police a procédé à des perquisitions simultanées dans les locaux et l’Académie du BDP à Istanbul, arrêtant 70 personnes dans le cadre de l’affaire KCK, accusée d’être la branche urbaine du PKK.
Début octobre, plus de 100 membres du BDP avaient été arrêtés à Istanbul et parmi eux 98 personnes, dont Deniz Zarakolu, fils du Ragip Zarakolu et l’auteur Aziz Tunc, avaient été écrouées.
Le premier est un traducteur de plusieurs œuvres dont « La philosophie politique » de Thomas Hobbes et le dernier est connu pour son livre sur le massacre de Maras, désigné comme le livre du mois par le PEN.
Alors que cinq députés kurdes sont toujours en prison et le siège d’un sixième ayant été invalidé par les autorités après les élections législatives du 12 juin, la justice veut enfermer les autres députés BDP qui sont dehors. Des enquêtes ont été ouvertes samedi 29 octobre par le Parquet de la République d’Ankara contre trois anciens députés BDP, Osman Ozcelik, Fatma Kurtulan et Sevahir Bayindir, en vertu de l’article 117 de la Loi sur les partis politiques.
Des milliers de personnes ont été arrêtées arbitrairement dans le cadre de l’affaire KCK, considérée comme un complot politique par les organisations kurdes. Cette affaire est devenue une arme redoutable du gouvernement AKP du premier ministre Recep Tayyip Erdogan pour intimider et enfermer tous les opposants kurdes.
Plus de 4500 membres du BDP ont été arrêtés au cours de ces six derniers mois. Parmi eux, plus de 1600 personnes ont été écroués.
Aujourd’hui, des milliers de membres actifs dont 18 maires sur 99 et six députés BDP sont en prison. Plus de 500 élus ont été enfermés dans la seule ville de Sirnak depuis le grand succès du parti kurde aux élections locales du 29 mars 2009.
La Turquie est aujourd’hui la plus grande prison pour les élus et les journalistes. Selon les organisations de soutien aux journalistes emprisonnés, près de 70 journalistes sont toujours en prison. (actukurde.fr, 29 octobre 2011)
RSF : Les journalistes pris en otage dans l’offensive contre le PKK
Alors que l’offensive militaire s’intensifie dans l’est de la Turquie et jusque dans les pays voisins, la presse est plus que jamais prise en otage dans l’affrontement entre les autorités et les rebelles kurdes du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, interdit). Procès en cascade, détentions prolongées, et maintenant directives gouvernementales à destination de la presse… L’amalgame entre combattants rebelles et journalistes abordant la question kurde d’un point de vue critique se perpétue, au nom de la lutte antiterroriste. Parallèlement, les inquiétudes montent quant à la volonté du gouvernement de contrôler l’information sur l’offensive en cours.
En prison pour une interview ?
La justice turque persiste à assimiler à de la « propagande », un crime passible de plusieurs années d’emprisonnement, le fait de publier des interviews de membres du PKK. Et ce, même si le commentaire qui en est fait est loin d’être élogieux.
La journaliste du quotidien libéral Taraf, Nese Düzel, et son rédacteur en chef Adnan Demir, sont ainsi poursuivis du fait de deux reportages publiés en avril 2010, qui contenaient des interviews d’anciens dirigeants du PKK, Zübeyir Aydar et Remzi Kartal. Le 14 octobre, le procureur de la 11e chambre de la cour d’Assises d’Istanbul a requis sept ans et demi d’emprisonnement. La prochaine audience doit se tenir le 9 décembre. Le même tribunal continuera d’instruire, le 26 octobre, le procès du journaliste Ertugrul Mavioglu. Ce dernier est poursuivi pour un reportage publié en octobre 2010 dans Radikal, et qui contenait une interview d’un responsable du KCK (Union des communautés du Kurdistan, décrite comme la branche urbaine du PKK), Murat Karayilan.
Sept ans et demi de prison sont également requis contre Recep Okuyucu, correspondant de Taraf dans la province de Batman (Sud-Est) et rédacteur en chef du journal local Batman Medya. Le parquet de Diyarbakir (Sud-Est) lui reproche notamment de s’être connecté 53 848 fois au site de l’Agence de presse Euphrate (ANF, www.firatnews.org), bloqué par les autorités qui le considèrent comme un relais du PKK. Le journaliste s’est défendu en rappelant que sa profession l’obligeait à se connecter chaque jour aux sites les plus divers.
Recours massif à la détention préventive
Le chroniqueur et ancien directeur de la publication du quotidien en langue kurde Azadiya Welat, Tayyip Temel, a été interpellé le 4 octobre à Diyarbakir, puis placé en détention. Il a été interrogé pendant 15 heures par sept procureurs dotés de pouvoirs spéciaux, avec 35 autres personnes suspectées d’appartenir au KCK.
Des charges ont enfin été présentées, fin septembre, contre deux journalistes de l’agence de presse pro-kurde Diha (Dicle Haber Ajansi) incarcérés depuis le 15 avril. Kadri Kaya, chef du bureau de l’agence à Diyarbakir, et Erdogan Atlan, correspondant à Batman, sont passibles de vingt ans de prison pour « collaboration » avec le PKK et « propagande » en faveur de cette organisation. Ils comparaitront pour la première fois devant la 7e chambre de la cour d’Assises de Diyarbakir le 2 novembre. On leur reproche essentiellement leur couverture des opérations armées turques et des manifestations kurdes. Erdogan Atlan est également mis en cause pour avoir couvert le procès d’un « gardien de village » (membre d’une milice paramilitaire locale associée à l’armée turque), accusé d’abus sexuel sur un mineur à Batman. Couverture dont le but était, selon l’accusation, de « rabaisser la place des forces de l’ordre aux yeux de la société ».
Le correspondant de Diha à Mersin, Aydin Yildiz, a été interpellé le 1er octobre alors qu’il sortait des locaux du quotidien pro-kurde Özgür Gündem. Transféré à Gaziantep pour interrogatoire, il a été placé en détention, tout comme l’éditeur du quotidien, Kazim Seker, interpellé le 4 octobre à Istanbul. La directrice de publication d’Özgür Gündem, Eren Keskin, par ailleurs avocate, a été sanctionnée par un « avertissement » du barreau d’Istanbul pour avoir évoqué le « Kurdistan » dans une conférence prononcée... en 2004. Le barreau a pris cette décision suite à la condamnation de la journaliste à dix mois de prison avec sursis et une amende de 3000 LT (1200 €) par un tribunal d’Urfa (Sud-Est), confirmée par la Cour de cassation en mai 2010.
Dans un entretien à Radikal le 11 octobre, le ministre en charge des négociations avec l’Union européenne, Egemen Bagis, a affirmé que le gouvernement était lui aussi gêné par le recours excessif de la justice turque à la détention provisoire. D’après lui, le premier ministre Recep Tayyip Erdogan aurait demandé au gouvernement de faire des recherches sur l’usage de la détention provisoire en Europe afin d’élaborer des recommandations. « Limiter la détention provisoire figure depuis longtemps parmi nos principales recommandations aux autorités turques, a déclaré Reporters sans frontières. Nous saluons l’initiative du gouvernement en la matière, qui pourrait constituer un tournant important. Les actes doivent maintenant suivre les engagements, et ce, dans toutes les régions du pays. »
La couverture des manifestations criminalisée
Emine Altinkaya, reporter pour Diha à Ankara, a été remise en liberté fin septembre dans l’attente de son jugement, après dix mois de détention préventive. Elle avait été interpellée le 27 novembre 2010 alors qu’elle couvrait une manifestation dans la capitale. Le jugement de deux correspondants de Diha à Istanbul, Safiye Alagas et Olcay Kizilpinar, accusés de « collaboration » avec le PKK, doit aussi être rendu prochainement. Ils avaient été interpellés en marge d’une marche organisée par le candidat du BDP (parti pro-kurde, autorisé) Sirri Süreyya Önder, le 30 juillet. Leurs appareils photo ainsi que leurs téléphones portables, cartes SIM, clés USM et un ordinateur portable sont retenus comme pièces à conviction.
Directives gouvernementales pour la presse
Plusieurs associations professionnelles turques ont vivement critiqué la rencontre organisée par Recep Tayyip Erdogan avec les propriétaires et directeurs de la publication de plusieurs médias nationaux, le 21 octobre. Le premier ministre a incité les journalistes à faire preuve de recul dans leur couverture du conflit, à ne pas relayer la propagande du PKK, et à prendre en compte les conséquences de leur travail.
Plus inquiétant, cinq des principales agences de presse turques ont annoncé, dans un communiqué joint publié le 24 octobre, qu’elles s’engageaient à obtempérer : « Des principes communs ont été adoptés concernant la couverture des incidents terroristes », ont déclaré l’Agence Anatolie (AA), AHT, ANKA, CIHAN et IHA. En particulier, elles s’engagent à « prendre en compte l’ordre public », « garder une certaine distance par rapport aux interprétations donnant raison à la peur, au chaos, à l’hostilité, à la panique et à l’intimidation », « ne pas inclure dans [leurs] publications de propagande pour des organisations illégales », et surtout, « se conformer aux interdits de publication des autorités compétentes ». « Les informations et les images seront transmises aux abonnés en tenant compte de leur utilité sociale et de la solidarité », est-il encore précisé.
« On espérait que l’époque où les autorités donnaient aux médias des directives pour la couverture des sujets les plus sensibles était révolue en Turquie. L’engagement des principales agences de presse à observer la ligne officielle, dans une formulation extrêmement vague, fait aujourd’hui peser de sérieuses menaces sur la liberté de l’information, a déclaré Reporters sans frontières. Les agences, chargées de fournir en contenu l’ensemble des médias, vont-elles de leur plein gré participer au black-out ? Minimiser l’ampleur des pertes humaines ou passer sous silence certaines opérations ne servira qu’à accroître la méfiance envers les médias. Une information complète et objective sur la situation à l’est du pays est un préalable indispensable pour parvenir à une solution pacifique de la question kurde ».
Dans ce contexte, l’accord sécuritaire entre Paris et Ankara signé le 7 octobre 2011, dont le ministre de l’Intérieur Claude Guéant assure qu’il « va bien au-delà des accords que la France signe habituellement dans le domaine de la sécurité », suscite des interrogations. « Nous espérons que les autorités françaises feront preuve de plus de discernement que leurs homologues turcs en matière de lutte contre le terrorisme. Nous les appelons à ne pas céder à l’approche confuse et répressive d’Ankara, qui multiplie les victimes collatérales y compris parmi les journalistes », a déclaré Reporters sans frontières.
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Biographie de Ragip Zarakolu
Ragıp Zarakolu was born in 1948 on Büyükada close to Istanbul. At that time his father, Remzi Zarakolu, was the district governor on that island. Ragıp Zarakolu grew up with members of the Greek and Armenian minority in Turkey. In 1968 he began writing for « Ant » and « Yeni Ufuklar » magazines.
In 1971 a military junta assumed power in Turkey. Ragıp Zarakolu was tried on charges of secret relations to Amnesty International. He spent five months in prison, before the charges were dropped. In 1972 Ragıp Zarakolu was sentenced to 2 years’ imprisonment for his article in the journal Ant (Pledge) on Ho Chi Minh and the Vietnam War. He stayed in Selimiye Prison (Istanbul) and was released in 1974 following a general amnesty.[2] On his release Zarakolu refused to abandon his campaign for freedom of thought, striving for an « attitude of respect for different thoughts and cultures to become widespread in Turkey ».
The Belge Publishing House, established in Istanbul in 1977 by Zarakolu and his wife Ayşenur, has been a focus for Turkish censorship laws ever since. Charges brought against the couple resulted in imprisonment for both Ayşenur and Ragıp Zarakolu, the wholesale confiscation and destruction of books and the imposition of heavy fines.
In 1979 Ragıp Zarakolu was one of the founders of the daily newspaper Demokrat and took responsibility for the news desk on foreign affairs. The paper was banned with the military coup of 12 September 1980 and Ragıp Zarakolu was shortly imprisoned in 1982 in connection with this position in Demokrat. He was banned from leaving the country between 1971 and 1991.[2] In 1986 he became one of 98 founders of the Human Rights Association in Turkey (HRA or in Turkish IHD). For some time Ragıp Zarakolu chaired the Writers in Prison Committee of International PEN in Turkey. Currently (beginning of 2007) he chairs the Committee for Freedom of Publication in the Union of Publishers.
Until the military coup of 12 September 1980 Belge Publishing House mostly published academic and theoretical books. Afterwards Belge started to publish a series of books written by political prisoners. The series of 35 books consisted of poems, shorts stories, novels. The list of publications (see a list of selected publications below) include more than 10 books (translations) of Greek literature, 10 books on the Armenian Question and five books related to the Jews in Turkey. There are also a number of books dealing with the Kurds in Turkey.[2]
He also has published several books on the Armenian Genocide,[3] such as George Jerjian’s The Truth Will Set Us Free : Armenians and Turks Reconciled and Professor Dora Sakayan’s An Armenian Doctor in Turkey : Garabed Hatcherian : My Smyrna Ordeal of 1922 — which brought new criminal charges in 2005.[4] In November 2007 Zarakolu published David Gaunt’s book « Massacres, resistance, protectors » about the Assyrian Genocide in Turkish (« Katliamlar, Direniş, Koruyucular »).[5]
In 1995 the Belge Publishing House offices were firebombed by a far right group, forcing it to be housed in a cellar. Since his wife’s death in 2002, Zarakolu continued to face further prosecutions.
Recent court cases against Ragıp Zarakolu and Belge Publishing House (until her death Ayşenur Zarakolu stood trial instead of him) include[6] :
2002
On 21 March Istanbul State Security Court (SSC) No. 1 heard the case of Ayşenur Zarakolu on charges of having disseminated separatist propaganda by publishing a book by Hüseyin Turhallı, former chairman of the Democracy Party (DEP) for Diyarbakır province, entitled Songs of Freedom. During the hearing her husband Ragıp Zarakolu stated that this would have been the 34th court case against his wife, if she had been alive. On 4 June Istanbul SSC dropped the charges against her after establishing that Hüseyin Turhallı was living in France and Ayşenur Zarakolu had died in January.
2003
On 3 December Istanbul SSC acquitted Ragıp Zarakolu from charges under Article 312 TPC. The trial had been opened for his translation of the book The Regime of 12 September on Trial, written by Dr. Gazi Çağlar from Hannover University.
2004
On 10 September, Istanbul Heavy Penal Court No. 14 (former Istanbul SSC No. 4) concluded the case launched against publisher Ragıp Zarakolu, owner of the newspaper Ülkede Özgür Gündem (Free Agenda in the Country), Ali Çelik Kasimogullari and editor-in-chief of the newspaper Mehmet Çolak in connection with an article titled Sana Ne (What’s that to you) that was published on 8 March 2003. The court sentenced Kasimogullari to a fine of TL 3.3 billion and Mehmet Çolak to 6 months’ imprisonment and a fine of TL 1.65 billion under Article 7/2 of the LFT (making propaganda for an illegal organization). Çolak’s sentence was commuted to a total fine of TL 3.73 billion. Zarakolu’s file was separated due to legal change made regarding Article 312 TPC. He was to be tried at a Penal Court.
Beyoglu Penal Court No. 2 heard the case on 2 March 2005 and adjourned the hearing to 12 May.[7] Further hearings were held on 21 September and 11 October 2005. Result unknown.
2005-2007
Ragıp Zarakolu was indicted for the Turkish translation of Professor Dora Sakayan’s book entitled An Armenian Doctor in Turkey. G. Hatcherian : My Smyrna Ordeal in 1922, Montreal 1997.[4] According to the indictment, Zarakolu was to be sentenced following Article 301 new TPC (Article 159 of the former TPC). The first hearing was set for 21 September at Istanbul Penal Court No 2.
On 20 September Istanbul Penal Court No 2 continued to hear the case against Ragıp Zarakolu, owner of Belge Publishing House, in connection with the book about the Armenian genocide entitled The Truth Will Set Us Free written by the British writer George Jerjian.[4] The hearing was adjourned to 22 November for investigation of the expert report. The charges related to Article 301 new TPC (of June 2005). The latest two cases were combined and further hearings were held on 21 November and 15 February, 19 April, 21 June and 14 December 2006.[8] The next hearing was scheduled for 15 March 2007.
2008
In June 2008, Zarakolu was found guilty of « insulting the institutions of the Turkish Republic » under Article 301 of the Turkish penal code for translating and publishing Jerjian’s book. The judge sentenced him to five months in prison. However, the judge, citing Zarakolu’s « good behavior », stated that the author may avoid imprisonment by paying a fine.
2011
On 10 March 2011, Ragip Zarakolu, publisher and free expression activist, was sentenced to a fine, and author Mehmet Güler to a 15-month suspended prison term. The two were convicted of spreading propaganda seen to support the banned Kurdish Worker’s Party (PKK), following the publication of Mehmet Güler’s book The KCK File/The Global State and Kurds Without a State. The Writers in Prison Committee of PEN International is troubled by the sentences against Zarakolu and Güler which contravene international standards safeguarding the right to freedom of expression.