Orhan Pamuk était à Paris jeudi 26 avril à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales pour animer une conférence intitulée « Ecrire mon nom est Rouge ».
La démonstration fut brillante, le contenu plus que passionnant.
Pamuk n’est pas un orateur qui va vous faire une démonstration aux points de vue tranchants. Tous ses sentiments s’expriment dans la nuance. Plusieurs fois au cours de son exposé, il va nous expliquer qu’il n’y a pas plusieurs questions qui se posent lorsque l’on décide d’écrire un tel livre, qu’il n’y a pas qu’une seule réponse au souhait de devenir écrivain, il y a des multiplicités d’explications plus ou moins opportunes pour entamer l’écriture d’un roman tel que « Mon Nom est Rouge ».
Orhan Pamuk, jusqu’à 22 ans, souhaite devenir peintre, largement encouragé par son père. Mais il change d’idée, déçu par un talent que lui ne se reconnaît pas. Il devient rapidement l’écrivain que l’on sait. Au début des années 90, il a envie de raconter l’histoire d’un peintre, d’exprimer ce qu’il sait de la peinture, comment fait-on pour être peintre, d’où vient ce besoin de peindre, quelles sont les joies que l’on ressent à peindre le monde qui vous entoure.
Au début, il pense situer ce roman dans la Turquie contemporaine. Or, pour Pamuk qui souhaite mettre en scène un peintre serein, la période n’est pas propice. L’action se situera donc à la fin du 16e siècle dans l’empire ottoman, à un moment où le mécénat culturel est important sous l’influence de la peinture miniaturiste perse qui rayonne de l’Afghanistan jusqu’à Istanbul au sein d’ateliers « interconnectés ».
La peinture islamique était limitée comparée à celle de la Renaissance selon Pamuk mais cela arrange son propos. Il lui faut s’intéresser d’autant plus à ces miniatures qu’il ne les aime pas forcément au départ. Il va chaque jour à cette époque au Metropolitan de New-York pour se forcer à les aimer. « J’étais déterminé à les aimer » dit-il.
C’est pour ce genre de propos qu’il s’est vu si souvent attiré les foudres des bien-pensants turcs qui lui reprochent d’être trop « occidental ». Pamuk réfute ce genre de critique et veut essayer de nous faire comprendre qu’au Metropolitan à New-York par exemple, il ressent une émotion beaucoup plus sincère lorsqu’il découvre une œuvre de Monet que devant une minuscule miniature sans perspective et sans émotion apparente. Simple critère d’« amabilité » de l’œuvre d’art et non pas dichotomie occident-orient.
Il se plonge dans les livres d’histoire de la peinture ou d’histoire tout court. En fait, son travail de documentation, la genèse du roman puis son exécution vont durer au total entre huit et neuf ans.
Des questions philosophiques animent son travail et s’exprimeront dans les pages du livre : pourquoi peindre ? Pourquoi, alors que l’art islamique se réduisait à une représentation mentale de l’univers et n’a pas évolué, l’occident a-t-il développé la perspective et libéré l’individu au moment de la Renaissance ? Pourquoi en Occident et pas ailleurs ? Pourquoi être un artiste ?
Conscient que ces questions pouvaient paraître ennuyeuses au commun des lecteurs, Pamuk a introduit des histoires personnelles et de multiples anecdotes pour égayer le récit. Il nous explique par exemple que son personnage de Shékuré est inspiré de sa mère. Comme elle, son mari est parti (mais pas en guerre contre la Perse !) puis est réapparu quelques années plus tard. De multiples détails familiaux sont introduits dans la trame de son histoire ou dans le caractère des personnages.
Comme on le sait, « Mon Nom est Rouge » donne la parole à de nombreux narrateurs : un homme décédé, un chien, une couleur, etc., de multiples perspectives - et le mot n’est pas prononcé au hasard par Pamuk – pour présenter de multiples tableaux. La psychologie des artistes peintres, la jalousie des hommes, la mort d’une tradition artistique, parce que les sultans ottomans vont vouloir comme les vénitiens des portraits d’eux-mêmes qui leur feront goûter un parfum d’éternité. Tout ceci dans un décor délibérément « vie quotidienne à Istanbul au 16e siècle » puisque l’auteur s’est appuyé sur les nombreux registres qui existaient à l’époque : tout ce qui se vendait au bazar était scrupuleusement répertorié par les fonctionnaires ottomans, de sorte qu’il est facile d’imaginer ce que l’on pouvait trouver dans une cuisine de l’époque.
Gallimard publie dans une dizaine de jours le roman autobiographique « Istanbul » dans lequel Orhan Pamuk décrit sa jeunesse et ses envies de peinture au sein de la ville qu’il vénère.