L’immense campus de l’université du Bosphore, à Istanbul, s’étale sur une colline, en surplomb du détroit qui sépare l’Europe de l’Asie. Avec ses vastes espaces verts, ses installations modernes et ses centres de recherche performants, cette université publique, la meilleure du pays, offre un coin d’Amérique au cœur de l’ancienne capitale ottomane.
Des milliers de jeunes suivent un enseignement en anglais et rêvent de poursuivre leurs études outre-Atlantique. Après la Chine, la Turquie est le pays qui fournit le plus gros contingent d’étudiants étrangers aux Etats-Unis, fait remarquer la sociologue turque Nilüfer Narli. “Des docteurs, des ingénieurs, qui ont donné une image très positive de la Turquie aux Etats-Unis, contrairement à l’Europe, où ce sont surtout des Turcs des zones rurales, avec un niveau d’éducation très bas.”
La jeunesse turque, qui représente plus de la moitié des 72 millions d’habitants, attend beaucoup de Barack Obama, à la veille de son arrivée dimanche 5 avril au soir. C’est à la Turquie qu’il consacre sa deuxième visite officielle à l’étranger depuis son élection, après le Canada. La première dans un pays “musulman”, même si le qualificatif ne convient qu’à moitié à cette République laïque. Un geste qui confirme en tout cas le lien privilégié qui unit les deux pays, membres de l’Otan depuis 1952. Ce périple doit mener le président américain à Ankara, lundi, pour rencontrer les responsables politiques et visiter le mausolée de Mustafa Kemal, fondateur de la Turquie moderne. Puis à Istanbul, mardi, où il prendra part au sommet de “l’Alliance des civilisations”, un projet piloté par les Nations unies.
“Un nouvel âge d’or”
Alors que le blocage turc à la nomination du secrétaire général de l’Otan a marqué le sommet de Strasbourg, Barack Obama est bien décidé à solidifier les liens qui arriment cet allié stratégique au bloc occidental. Il ne manquera pas de saluer le rôle de pont joué par la Turquie dans la région. Entre l’Afghanistan et le Pakistan, réunis cette semaine à Ankara, entre Israël et la Syrie, avec l’Iran ou avec le Hamas, Ankara a multiplié les tentatives de médiation. La question du retrait des troupes américaines d’Irak, qui pourrait se faire via la Turquie, devrait également être évoquée, confirme Faruk Logoglu, ancien ambassadeur turc aux États-Unis et proche du lobby militaire.
Mais la mission première d’Obama sera de réparer les dégâts de la présidence Bush. L’amitié turco-américaine avait été sérieusement mise à mal : l’impopularité de l’intervention américaine en Irak, et la peur panique des Turcs de voir émerger un Etat kurde de ce chaos, ont attisé depuis 2003 la montée de l’antiaméricanisme. En 2007, selon une étude, 64 % des Turcs estimaient même que les Etats-Unis représentaient “une menace”. “Historiquement, jusqu’à la guerre d’Irak, les Turcs n’ont jamais été antiaméricains, estime pourtant Nilüfer Narli. La culture américaine est totalement dominante ici, y compris dans le monde des affaires.” Patriotisme, puritanisme et culture du divertissement caractérisent la société turque, autant que celle de leur allié américain.
Signe d’embellie, le nouvel occupant de la Maison blanche est devenu le leader mondial le plus populaire en Turquie, avec 70% d’opinions favorables. Sitôt après l’élection, des villageois turcs avaient sacrifié 44 moutons dans un village de l’Est, pour fêter la victoire d’Obama, 44e président américain. Plus récemment, l’une des principales banques du pays a utilisé l’image d’Obama pour sa dernière campagne publicitaire, dont les affiches recouvrent les abris bus. En amont de cette visite, Ahmet Davutoglu, la tête pensante de la nouvelle diplomatie turque, a déclaré devant les étudiants de l’université de Princeton espérer “un nouvel âge d’or” dans les relations turco-américaines.