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Nous voulons la justice pour Hrant… et pour tous les autres !

mercredi 20 janvier 2010, par Aurélien Roulland

Aujourd’hui, la presse française a enfin trouvé un sujet pour parler de la Turquie : Mehmet Ali Agca, le déséquilibré fanatisé, qui avait tenté d’assassiner le pape et qui s’est converti au catholicisme après avoir été « pardonné » par le saint père, vient de sortir de taule en se prenant pour le messie et nous promet la fin du monde en 2012. Super !

Un sujet qui vient succéder à celui de Sarkozy qui ne veut pas de la Clio en Turquie, alors qu’il n’a jamais rien dit des autres délocalisations, histoire de faire couler de l’encre à la veille des élections et surtout tenter de cacher la misère d’un bilan social catastrophique. Super !

Mais fort heureusement donc pour l’UMP, « notre amie la Turquie » (sic !) est là comme elle l’était à la veille des élections de 2007 pour agiter le chiffon rouge des peurs identitaires devant l’électeur aliéné. Un coup les Turcs veulent nous envahir et nous islamiser, l’autre coup ces « barbares » veulent nous prendre nos emplois. Parfois je me demande ce que Sarkozy ferait si la Turquie n’existait pas. Je me rassure en me disant que le règne de Sarkozy, à l’inverse de celui d’Istanbul, n’est pas éternel…

Aujourd’hui, cela fait surtout maintenant trois ans jour pour jour que Hrant Dink nous a quittés. Trois ans que cet Arménien de Turquie, cet Arméno-turc, ou je ne sais comment l’appeler… tiens, c’est marrant ! on a le même mal avec nos Français issus de l’immigration du Maghreb, nationalisme, quand tu nous tiens !... bref, cela fait trois piges que Hrant Dink, fondateur du journal Agos nous a quittés (Agos, en arménien signifie littéralement « le sillon »). Assassiné de 3 balles dans la tête par un môme de 17 ans fanatisé qui aurait tout aussi bien pu être mon petit frère ou le tien. Je te passe les détails scabreux sur son assassinat, je laisse cela à une presse dont je me serais servi, accessoirement, pour faire sa litière si j’avais eu un cochon d’Inde.

De celui que tous mes amis turcs nomment aujourd’hui avec affection Hrant, je retiendrai surtout comme eux, avant tout, l’homme courageux dont on oublie qu’il ne fut pas plus aimé par les fascistes turcs que par les extrémistes de la diaspora arménienne de France, qui aujourd’hui en font étrangement un Saint. Un journaliste intègre, surtout, vendu ni aux uns ni aux autres et qui, par amour, se sachant menacé, a tenu à aller jusqu’au bout de ses convictions. Lui qui condamnait les Européens qui instrumentalisent le drame vécu par les Arméniens au profit de calculs bassement électoralistes de politique intérieure et déclarait, deux ans avant sa mort, dans une interview accordée à la télévision face à Frédéric Mitterrand : « Vivre en Turquie a toujours été difficile, pas seulement pour les Arméniens mais pour tous les peuples, toutes les communautés, pour chaque personne. (…) On vit des difficultés. Les alevis vivent des difficultés. Les musulmans vivent des difficultés. Les minorités vivent des difficultés. Parfois les Kurdes vivent des difficultés… (…) Mais enfin, il faut souligner que, progressivement, nos difficultés avec la démocratisation de la Turquie, se résolvent et diminuent. Nous pouvons autant profiter de la démocratie que les autres. C’est ainsi que ça doit être. Il n’y a aucun sens, pour un pays, à déclarer que telle ou telle population est meilleure que l’autre. Les peines, les difficultés, les joies, nous devons tous les partager ensemble dans ce pays. C’est pour cela que nous nous battons. Voilà pourquoi on veut intégrer la communauté européenne. Voilà pourquoi on a ce désir de démocratisation. Pas seulement pour les Arméniens, mais pour nous tous. Nous demandons et attendons de belles choses. »

De Hrant je me souviens aussi et surtout le visage de mes amis turcs abattus à l’annonce de sa mort. Les larmes de l’un, l’autre qui s’est rendu directement sur les lieux de l’assassinat pour se recueillir, l’autre encore qui croyait voir arriver la fin de la Turquie. Je me souviens de cette véritable marée humaine dans les rues d’Istanbul pour ses funérailles comme seuls les Turcs savent le faire. Et bien sûr, de cette manifestation à Paris où les Turcs avaient apporté une banderole géante écrite en français « Nous sommes tous des arméniens » quand, ironie du sort, c’est moi qui avais confectionné celle écrite en turc. Pour une fois, la presse française avait titré juste : « cet Arménien que pleurent les Turcs ».

Mais de Hrant, par-dessus tout, me vient à l’esprit cette façon de faire du vrai journalisme. Alaturka. Avec passion et sans concession. Et je n’oublie pas que si la mort de Hrant a fait couler de l’encre chez nous pour le simple fait qu’il était arménien et que cela permettait d’attiser les tensions communautaires sur des calculs électoralistes, il n’en reste pas moins qu’ils sont des dizaines et des dizaines, de journalistes turcs, à avoir été assassinés pour le simple fait d’avoir fait leur métier. Car non, ce n’est pas parce que Hrant était arménien qu’il a été assassiné. Mais parce que, comme c’est une coutume des journalistes en Turquie, il n’a pas su se taire. Hrant est mort, comme tant d’autres journalistes tombés dans l’ombre avant lui et à qui je veux rendre aujourd’hui hommage par ce bien misérable article, pour avoir poussé les limites du politiquement correct à leur point de non retour. Et cela n’a rien à voir avec l’état d’avancement de la démocratie d’un pays. Car tout pays, même à des degrés différents, est gangréné par le nationalisme, les méthodes mafieuses, et les pratiques politiciennes pourries. Et cela, il faut lire une autre presse que la presse française pour le comprendre. Pour comprendre que la meilleure école du journalisme se fait en côtoyant le quotidien de femmes et d’hommes qui, sur le terrain et non dans des hôtels 4 étoiles avec piscines chauffées et bars réfrigérés, risquent leur vie pour la conquête de ce Graal que l’on appelle la Vérité.

C’est pourquoi, à l’instar de tous mes amis anonymes, que notre presse n’intéresse pas et qui affichent dans la rue, sur Facebook ou dans les journaux avec rage ces quelques mots « Hrant için adalet istiyoruz », nous voulons la justice pour Hrant, afin que les commanditaires connus qui ont mis dans les mains d’un gosse une arme au lieu d’un livre soient jugés, je veux ajouter, moi, que… nous voulons la justice pour Hrant et pour tous les autres !

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