Cet événement a déclenché un très grand émoi dans les médias turcs. Qu’est-ce qui l’explique ?
Les médias turcs ont des approches très diverses. Le paysage médiatique est très varié en Turquie. Des journaux comme Milliyet ou de langue anglaise comme le Turkish Daily News ou Today’s Zaman n’accusent personne. Naturellement ils s’interrogent. Des néo nazis sont-ils derrière cela ? L’enquête de police est-elle conduite avec impartialité ? Les pompiers ont-ils réagi suffisamment rapidement ?
Mais la presse allemande a les mêmes interrogations. De plus les mauvaises expériences des dernières années ont sensibilisé les esprits en Turquie. Il y a eu beaucoup d’actes racistes et il est arrivé que leurs auteurs n’aient pas été appréhendés. Cependant il n’y a pas l’agressivité qu’on imagine en Allemagne.
Sur quoi y spécule-t-on ?
On se demande par exemple si les secours allemands sont arrivés suffisamment vite sur les lieux du sinistre. S’ils n’auraient pas intentionnellement tardé à intervenir. Si leur équipement était techniquement suffisant. C’est le type de suspicion qui se manifeste généralement dès lors que des faits sont exposés par un gouvernement. La police ne peut pas livrer les résultats de son enquête en cours. Les Turcs ne l’exigent pas non plus. Mais on reste sceptique en Turquie et on se demande si l’Allemagne peut vraiment identifier les causes de ce sinistre.
Pourquoi une telle absence de confiance ?
Cela tient notamment au fait que les précédents crimes racistes en Allemagne n’ont pas été élucidés. Je trouve aussi intéressant que la police turque n’ait pas pu, ou n’ait pas voulu identifier les responsables de l’incendie criminel de Sivas (le 2 juillet 1993, 37 intellectuels et artistes alévis qui participaient à un festival à Sivas ont péri dans l’incendie de l’hôtel Maldirak provoqué par des extrémistes islamistes. L’action des secours et de la police turque est très controversée. NDT). La police turque n’élucide pas toujours non plus ce genre de crime. Elle est aussi est coupable de nombreuses négligences comme le rappelle la presse en Turquie.
La communauté alévie d’Allemagne s’est plainte du « bourrage de crâne » auquel se livreraient les médias turcs. Pourquoi ne considère-t-elle pas ces médias comme un soutien ?
Les Alévis estiment que la visite du chef de gouvernement Recep Tayip Erdogan à Ludwigshafen et l’envoi par la Turquie d’experts turcs pour participer à l’enquête constitue une ingérence dans cette affaire. Et ils accusent la presse à sensation turque de l’instrumentaliser.
Voyez-vous, le gouvernement AKP n’est pas vraiment en faveur auprès des représentants alévis d’Allemagne. L’AKP est un parti conservateur, comme la CDU. Beaucoup d’Alévis d’Allemagne sont proches de mouvances d’extrême gauche. Ou alors ils se reconnaissent dans le courant laïque qui revendique l’héritage de modernité d’Atatürk. Une autre raison très importante est le fait que l’incendie criminel de Sivas n’a jamais été complètement élucidé. Il y a beaucoup de scandales en Turquie dans lesquels sont incriminés des islamistes qui ont bénéficié de complicités au sein de la police. Les Alévis ont souvent une opinion très négative de la police et du gouvernement AKP.
Vous pensez que les raisons de ces récriminations seraient essentiellement politiques ?
Tout est politique. La querelle autour du foulard aussi est politique.
La situation risque-t-elle de se crisper davantage ?
Je ne le pense pas. Le ton est bien moins agressif qu’après l’incendie de Solingen en 1993 ( cinq personnes d’origine turque dont trois fillettes avaient péri dans l’incendie criminel provoqué par des néo-nazis. Le journal turc Hurriyet avait alors demandé que « les coupables soient jugés pour crime de génocide. » NDT). Ce drame n’est pas relativisé pour autant. Mais pour le moment il n’est pas prouvé qu’il s’agisse d’un crime raciste.
Comment le conflit peut-il être désamorcé ?
La transparence est très importante. Rien ne s’oppose à ce que des experts turcs viennent à Ludwigshafen. Mais il faudrait surtout expliquer certaines choses afin que la presse à sensation turque ne trouve plus de prétexte pour spéculer.