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France - Turquie, Entre Histoire et Mémoire

jeudi 19 janvier 2012, par Simon Berliere

En déplacement à Istanbul entre les fêtes, je décide ici de retranscrire mes quelques impressions, un voyage passionnant pour un étudiant en sciences politiques en ces périodes de tensions diplomatiques franco -turques.

Située de part et d’autre du Bosphore, à cheval sur deux continents (l’Europe et l’Asie ) la métropole turque vit et s’enrichit de contrastes, les femmes voilées côtoient les jolies stambouliotes en jupes, les hommes d’affaires croisent les vendeurs de vêtements contrefaits, de marrons chauds ou de simit.( pain au sésame turc)

Mais ce mélange des genres semble tenir, autour de symboles forts et d’une certaine identité turque. En Turquie les symboles patriotiques sont forts, l’enracinement est puissant, tant l’histoire du pays est riche, celle de Soliman le magnifique, de Fatih Sultan Mehmet et d’Atatürk

Istanbul est une ville vivante, dynamique, tout est ouvert, et presque tous les jours, dans les restaurants, les serveurs travaillent dur et vous accueillent de mezzes et de leur sympathie.

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Istanbul - Le Bosphore

La gastronomie est un art en Turquie, les repas sont très variés, le thé se boit tout le temps et à toute heure.
Certains restaurants dominent le Bosphore , dont le restaurant Hamdi, Les bazars regorgent de trésors et d’objets orientaux. Une société civile en mouvement donc, qui montre bien l’essor du pays.

Malgré la chute de l’empire ottoman l’histoire reste omniprésente en Turquie, on est tout de suite saisi par la grandeur du défunt empire ottoman.

Sultanhamet, quartier historique regroupant Aya Sofia ( Sainte Sophie) la mosquée bleue, et sa citerne basilique sont des vestiges inestimables faisant d’Istanbul une ville classée au patrimoine mondial de l’Unesco.

La population est hétéroclite, les femmes turques ont une beauté simple et taciturne qu’évoquait l’écrivain Pierre Loti dans ses romans. (Notamment dans le romain Aziyadé écrit en 1879). Istanbul recense entre 13 et 17 millions d’habitants selon les sources, une société composite d’hommes et de femmes, dotés d’un certain ordre moral, d’amour de la gastronomie et d’attrait pour le sport. (Le football en majorité)

Les turcs aiment le football, tout turc a un club de référence. Ce sport est très important en Turquie, Besiktas, Fenerbace, et Galatasaray sont les 3 principaux clubs correspondants à des quartiers de la ville.

D’ailleurs Pascal Nouma, footballeur français à la retraite est une star en Turquie. Un français qui a choisi de vivre en Turquie. Loin des turpitudes politicardes de la diplomatie.

La Turquie est un pays intéressant politiquement, mêlant différents aspects, le pays est en quelque sorte dans un retour à la tradition religieuse depuis l’élection d’un gouvernement à tendance musulmane, et est en même temps membre de l’OTAN.

Sa stratégie de défense est complexe, les principales menaces avouées sont la Grèce et la Syrie, mais également à l’intérieure du territoire où les Kurdes constituent un danger.

Cela a conduit la Turquie, à opérer une alliance avec Israël pour prendre à revers la menace syrienne, cette alliance est toutefois quelque peu déclinante depuis l’arrivée au pouvoir en 2002 de l’AKP (Parti pour la justice et le développement ).

Erdogan et son Parti, l’AKP ont pris le pouvoir et n’ont pas la bienveillance de la jeune génération branchée à Facebook et aux clubs huppés, où se côtoient mannequins, élite turque et richissimes personnes de la péninsule arabique.

La société traditionnelle, semble plus partagée sur le parti au pouvoir, certains admirent les réformes réalisées, mais sur place, un amateur de raki, l’alcool national au gout d’anis, nous confiera qu’il voit toutefois ce parti comme restrictif en terme de libertés publiques, notamment concernant les artistes et journalistes menacés ou mis en examens.

Erdogan est dans une relation complexe avec le sacro-saint principe de laïcité, se réclamant des principes laïcs édictés par Mustapha Kemal Ataturk. Erdogan a pourtant donné le droit en 2008 aux jeunes filles musulmanes de porter le voile dans les universités, et a montré sa volonté de donner une plus grande place à la religion dans la société. Fait religieux omniprésent dans une ville ou se côtoient Eglises, Synagogues et Mosquées, faisant ainsi d’Istanbul une destination prisée par les touristes du monde entier.

Les touristes français sont nombreux à avoir choisi la Turquie, en partie par effet d’évitement des révolutions des pays du bassin méditerranéen. L’accueil des touristes est agréable, en tant que français, certains turcs tiquent sur notre passage, certains font des remarques au sujet de la proposition de loi votée au parlement concernant le génocide Arménien.

Mais cette loi ne concerne pas juridiquement le seul cas Arménien, puisqu’elle vise à réprimer la contestation de l’existence de l’ensemble des génocides reconnus par la loi.

Celle-ci vient pourtant encourager un contexte politique complexe, en effet, les affiches appelant au boycott de la France sont présentes et la population turque est par nature une population fière qui n’aime pas se voir dicter une conduite par un pays tiers.

Certains habitants sont donc un peu énervés face à l’attitude française, le gouvernement turc dans la même idée rétorque en évoquant les massacres en Algérie.

Une dégradation de notre image en Turquie sur laquelle il faut réfléchir, tant l’amitié franco turque est une richesse du passé, en effet ici les élites turques viennent apprendre le Français dans les lycées et Universités Françaises ( Lycée Saint joseph, Université de Galatasaray ).
Des relations remontant à François 1er, qui avait entrepris un accord avec Soliman le Magnifique contre Charles Quint, ces relations perdureront et permettront en 1536, à la France de devenir la première puissance européenne à obtenir des privilèges commerciaux avec la Turquie, des accords donc, vieux de 5 siècles, qu’on a du mal a voir ternis par la droite de Patrick Devedjian, qui semble en ce moment regarder plus vers l’Arménie que vers l’ industrie Française.

Même en France ce projet de loi suscite la controverse, certains y voient une loi mémorielle, comme Pierre Nora qui y voit une ingérence du pouvoir législatif dans la recherche académique. “Elles sont évidement liberticides et antidémocratiques”

Pascal Boniface chercheur à l’Iris pose la question suivante : ” imaginez que le parlement turc vote une loi sur le génocide vendéen ?”

Pour d’autres, elle est simplement une loi réprimant un négationnisme outrancier. Ainsi le ministre arménien des Affaires étrangères, Edouard Nalbandian a d’ailleurs tenu à exprimer la gratitude de son pays par ces mots : « Je veux, une fois de plus, exprimer ma gratitude aux plus hautes autorités de la France, à l’Assemblée nationale et au peuple français ».

Une situation complexe donc, ou le débat se focalise sur la situation arménienne, mais le problème de la reconnaissance historique des massacres est un problème bien plus large.

On ne peut à ce sujet que prêcher un système éducatif évoquant une vision cohérente et égalitaire de l’ensemble du processus historique français. (Notamment des faits moins mis en avant dans le programme scolaire, par exemple les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata, évocateurs de notre passif colonial en Algérie ou la défaite Française de Dien Bien Phu en Indochine.)

Construire des individus éduqués et responsables devant leur histoire donc, en évitant de construire notre mémoire en passant par les tribunaux, sans quoi les communautés vivant en France ne se gêneront pas, pour demander part égale des reconnaissances par la logique jurisprudentielle.

Une société qui multiplie les lois mémorielles ne peut aller vers une liberté académique dans la recherche ou le débat.

Il serait donc intéressant que le corps politique français permette la confrontation des idées en passant de la mémoire des communautés à l’histoire du pays avant de se permettre de donner des leçons à la souveraine Turquie.

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Sources

Article publié le vendredi 6 janvier 2012 sur Agoravox sous le titre : « France - Turquie, Entre Histoire et Mémoire »

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