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En Turquie, « le train de l’Europe est toujours sur les rails »

samedi 3 mars 2007, par Marc Semo

Libération - 24/02/2007

Abdullah Gül, ministre des Affaires étrangères, entend garder le cap

- Ankara envoyé spécial

Dans une interview à Libération, le ministre turc des Affaires étrangères Abdullah Gül critique la France, qui fait de l’adhésion de son pays à l’UE « un enjeu de petite politique intérieure ». Garder le cap et continuer la marche vers l’Union européenne. Malgré le « gel » en décembre dernier des négociations avec Bruxelles sur 8 des 35 chapitres de l’acquis communautaire après le refus d’Ankara d’ouvrir ses ports et ses aéroports à la république de Chypre, les autorités turques affirment leur volonté de continuer les réformes. Et elles rejettent sur l’Europe la responsabilité de la crise.

« Je pense que l’Union européenne et certains de ses Etats membres s’inquiétaient de la rapidité de ce processus et ont voulu le ralentir en utilisant ce prétexte », nous affirme le ministre turc des Affaires étrangères Abdullah Gül, dans un entretien accordé en marge de la réunion annuelle des journalistes UE-Turquie. Et si le coup de froid est bien réel, les autorités turques tiennent à rappeler que « le train est toujours sur les rails ». « L’UE connaît actuellement des problèmes, notamment de confiance en elle-même, mais il y aura une éclaircie et, pendant ce délai, nous allons continuer à travailler afin de ne pas être encore au même point quand le processus repartira », insiste le ministre, affirmant que le gouvernement a demandé aux différents ministères « une feuille de route » avec un timing précis pour la mise en œuvre, dans leurs domaines respectifs, de l’acquis communautaire.

Enjeu

L’assassinat, le 19 janvier, du journaliste turco-arménien Hrant Dink par un jeune ultranationaliste et les poursuites lancées contre des intellectuels au titre de l’article 301 du nouveau code pénal, sanctionnant notamment les « insultes à l’identité turque », ont remis sur le devant de la scène la question des libertés.

Un enjeu essentiel pour les Européens et Abdullah Gül reconnaît volontiers que, « pour l’image de la Turquie, l’article 301 est aujourd’hui tout aussi dévastateur que jadis le film Midnight Express ». « Cet article de loi porte de l’ombre à l’ensemble du processus de réformes, donnant l’impression que des intellectuels comme Orhan Pamuk [prix Nobel 2006, ndlr] ne peuvent exprimer librement leurs opinions. Cela n’est pas vrai et les procédures ouvertes par les juges n’ont pas abouti à des condamnations. Tout comme le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, j’estime néanmoins qu’il faut au plus vite changer ce texte et cela sera fait d’ici quelques semaines. Il faut aussi changer les mentalités, ce qui est plus long mais indispensable car il sera toujours possible, pour les adversaires du changement, d’utiliser tel ou tel autre article de loi à la place du 301 pour les mêmes fins », martèle le ministre.

Rôle clé

Le responsable de la diplomatie turque ne cache pas son irritation face à la pression croissante des opinions, dans les pays occidentaux, pour l’adoption de textes sur le génocide arménien de 1915. Aux Etats-Unis, le Congrès à majorité démocrate devrait prochainement adopter une telle résolution.
"Je ne crois pas qu’elle passera. Pour eux, il s’agit d’une question liée à des intérêts particuliers, mais pour nous c’est une
question d’intérêt national. Il faut voir la question dans le cadre de l’ensemble de nos relations spéciales avec les Etats-Unis"
, souligne le ministre, rappelant le rôle géostratégique clé de la Turquie, pays notamment frontalier de l’Irak et par où transite la plus grande partie de la logistique des forces de la coalition.

Il est plus cinglant envers Paris et son projet de loi pénalisant la négation du génocide arménien. « C’est surtout un moyen pour la diaspora de souder son identité, mais cela aux dépens de l’intérêt national français. Comment le pays symbole des droits de l’homme et de la liberté peut-il faire une loi qui envoie en prison une personne coupable seulement d’avoir exprimé son opinion ? C’est avant tout dommage pour l’image de la France », s’indigne Abdullah Gül, qui n’en affirme pas moins « reconnaître la réalité de la tragédie et du grand nombre de victimes, aussi bien arméniennes que turques ».

« Feu vert »

Interrogé sur la campagne électorale française, l’évidente hostilité à l’adhésion de la Turquie de Nicolas Sarkozy et le rappel par Ségolène Royal du référendum par lequel les Français se prononceront en dernier lieu, Abdullah Gül note avec une ironie amère : « Avec ce référendum, la France tient maintenant en main la clé pour l’avenir européen de la Turquie, qui, même si elle a parfaitement rempli tous les critères pour une pleine adhésion et reçu le feu vert de la Commission, pourrait se voir finalement bloquée à cause de quelques centaines de voix. Vous pourrez donc dire non et nous respecterons ce choix, mais il y a du temps jusque-là, peut-être dix ans, alors pourquoi faire entretemps de la Turquie un enjeu de petite politique intérieure ? »

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