Une déclaration ahurissante
Les déclarations choquantes du ministre de l’intérieur turc, M. Sahin, diffusées par la presse le 26 Décembre 2011 [voir ci-après], ont montré que le gouvernement turc considère l’espace de la liberté de recherche et d’expression comme « l’arrière-cour de la terreur ». Le ministre a ainsi affirmé que sa propre mission consistait à distinguer, par une précision chirurgicale, le bon grain de l’ivraie.
Dans ce cadre, la définition de la terreur promue par le gouvernement englobe actuellement nombre de personnes qui n’ont aucun lien avec la lutte armée, et menace la liberté d’expression de chacun par l’invention de catégories inédites de terreur telles que « la terreur scientifique » ou « la terreur artistique ». Les scientifiques, les artistes, les journalistes, les étudiants, et progressivement l’ensemble de la société civile court le risque d’être classifié, par l’Etat même, comme étant « nuisible » ou « bénéfique ». Les déclarations de M. Sahin laisse entendre qu’aux yeux du gouvernement, des comportements qualifiés de « sans honneur » et « d’inhumains » comme « l’homosexualité », « le zoroastrisme » ou « consommer de la viande du porc » peuvent servir de critères dans cette classification. L’Etat, redéfini comme « la vie elle-même », s’octroie le droit de pénétrer dans tous les sphères de la vie privée et publique, criminalisant, sous le nom de la lutte anti-terreur, toute liberté d’expression.
Ces déclarations, trahissant d’une part une stratégie qui fait de l’ensemble des forces démocratiques « les ennemis de l’Etat », témoignent d’autre part d’un véritable discours de haine contre tous ceux qui ne partageraient pas les valeurs portées par le ministre (dont la nécessité qu’il ressent de s’excuser lorsqu’il évoque l’homosexualité). Elles montrent clairement que le ministre de l’intérieur, en charge des forces de l’ordre, confond l’espace juridique avec celui des valeurs, et qu’il a l’intention de criminaliser les comportements qui ne sont nullement réprimés par la loi.
Le Groupe International de Travail (GIT) « liberté de recherche et d’enseignement en Turquie » dénonce ces déclarations qui visent ouvertement la liberté de recherche et d’expression. Nous constatons que le ministre de l’intérieur, a perdu de toute évidence le sens d’impartialité nécessaire à l’exercice de la fonction publique. Nous demandons l’arrêt de la répression exercée en Turquie sur les chercheurs, les artistes, les étudiants, les diverses identités ethniques et sexuelles, ainsi que la libération immédiate de nos collègues accusés injustement de « terrorisme ».
Déclaration du ministre de l’intérieur turc, M. Idris Naim Sahin, du 26 Janvier 2011 à Afyon (Radikal, 26 décembre 2011) :
« Il n’y a pas que la terreur armée. Il y a aussi la propagande de la terreur : terreur psychologique, terreur scientifique. C’est l’arrière-cour de la terreur. [...] Certains justifient la terreur et la soutiennent. Comment la soutiennent-ils ? Peut-être par la peinture, ils projettent [la terreur] sur la toile. D’autres, par la poésie ou par des écrits divers (articles quotidiens). Ils ne s’arrêtent même pas là, et ils prennent comme objet de leur pratiques artistiques ou scientifiques, les forces de l’ordre qui luttent contre la terreur, pour les démoraliser. C’est ainsi qu’ils luttent contre ceux qui luttent contre la terreur.
[...] Ce sont des activités alambiquées, détournées qu’ils mènent dans l’arrière-cour de la terreur. Cette arrière-cour peut se situer à Istanbul, à Izmir, à Bursa, à Vienne, à Londres, en Allemagne. Cela peut être une chaire universitaire, une association, une organisation non gouvernementale.
[...] A mon avis, il est plus facile de combattre [la terreur armée] dans les montagnes. Mais dans cette arrière-cour, il faut séparer le bon grain de l’ivraie. Nous sommes conscients de la difficulté. Il faut avoir une précision chirurgicale, car celui qui dit : « Moi je m’exprime dans cette arrière-cour, je suis le bon grain », il profite de la démocratie.
[...] Même dans leur propre organisation, ils sont tellement anti-étatiques qu’ils veulent se passer de l’Etat. Mais alors, qu’est-ce que l’Etat ? L’Etat c’est l’ordre, le droit, l’hiérarchie, la propriété, l’honneur [namus], la liberté [...]. L’Etat, c’est la vie elle-même.
[Chez les sympathisants de cette organisation kurde], au nom du nationalisme et d’un sentiment de fraternité, il existe toutes sortes de comportements sans honneur, amoraux et inhumains, qui vont du zoroastrisme jusqu’à l’homosexualité (pardonnez-moi l’expression), en passant par la viande de porc. »
(traduit du turc par Ferhat Tayla et Emine Sarıkartal)